Avec la fonte estivale de la banquise, les ours polaires auront beaucoup de difficultés à chasser © Mario Hoppmann (distributed via imaggeo.egu.eu)

Vers un déclin brutal de la banquise arctique dès 2030

8 juillet 2025
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 5 minutes

Série : On the rocks ! (6/7)

Après une dizaine d’années de conditions relativement stables, la banquise arctique pourrait connaître un déclin brutal de sa superficie autour de 2030. Ce phénomène, désigné par l’acronyme RILE (pour Rapid Ice Loss Event), présente une probabilité de survenue en période estivale estimée à 60 %, d’après les travaux d’Annelies Sticker. Celle-ci mène sa thèse sous la direction de François Massonnet, professeur de climatologie et de prévision climatique à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain), dans le cadre du projet ArcticWatch, financé par le Conseil européen de la recherche (ERC). Ce projet vise à développer un système d’alerte permettant de prévenir les risques de perte rapide de glace de mer arctique dans un horizon de cinq ans.

« Les événements RILEs ont été définis pour la première fois en 2006 dans la littérature scientifique, à partir de modèles climatiques. Ils désignent des périodes durant lesquelles, en Arctique, la glace de mer fond de façon abrupte et soutenue sur une durée de 5 à 10 ans — une définition à laquelle nous nous référons dans notre travail », explique la chercheuse.

Selon les simulations informatiques, environ 30 % des épisodes RILEs entraîneraient un océan Arctique libre de glace. Les 70 autres pourcents verraient un fort déclin de la banquise, particulièrement en été, sans toutefois la faire disparaître.

Un déclin non linéaire

Actuellement, l’Arctique conserve une couverture de glace de mer en hiver comme en été, suivant un cycle saisonnier : elle s’étend durant l’hiver et fond partiellement en été. Cette couverture reste importante, bien qu’elle ait fortement diminué ces dernières années.

« Contrairement à une idée reçue, la réduction de la banquise arctique n’est pas linéaire. Entre 2000 et 2008, un épisode de fonte accélérée (que l’on peut assimiler à un phénomène RILE de petite amplitude) a considérablement réduit la banquise, sans toutefois la faire disparaître, déviant nettement de la tendance stable observée sur un siècle. Depuis, la diminution s’est stabilisée, bien que marquée par de fortes variations d’une année à l’autre », explique Annelies Sticker.

« Cette étude vise à comprendre pourquoi certaines décennies connaissent une fonte rapide de la glace de mer, tandis que d’autres restent relativement stables. Elle cherche aussi à déterminer si nous nous approchons d’un basculement abrupt, marquant un point critique pour la banquise arctique. »

Annelies Sticker, dans son bureau à Boulder au Colorado © Annelies Sticker

Fonte estivale et résilience hivernale

Un océan Arctique sans banquise. Dans notre histoire contemporaine, cela n’a jamais été observé. Mais la situation pourrait changer dans un avenir proche. A quoi faut-il s’attendre ?

« Même durant un épisode RILE, la formation de glace de mer en hiver persistera. En Arctique, la nuit polaire prive la région de lumière pendant six mois, maintenant des températures très basses. Ainsi, même si durant l’été, l’océan Arctique devient libre de glace, l’hiver restera propice à la reformation de la banquise », explique Annelies Sticker.

« Il convient toutefois de noter que les modèles suggèrent la possibilité de RILEs hivernaux à partir de 2080, bien que ces projections restent très incertaines. »

« Quant à la fonte estivale de la banquise, elle impactera fortement les écosystèmes, notamment le phytoplancton, végétaux à la base de la pyramide alimentaire, et les ours polaires qui auront beaucoup de difficultés à chasser. Les communautés humaines qui dépendent de la glace de mer seront également profondément affectées. La fonte estivale de la banquise influencera aussi le climat, car la glace de mer joue un rôle crucial dans les échanges de chaleur entre l’océan et l’atmosphère. De plus, tandis que la glace blanche réfléchit les rayons du soleil, l’eau sombre qui la remplace après la fonte absorbe la chaleur, ce qui réchauffe l’océan et accélère encore davantage la fonte de la glace de mer, créant ainsi un effet de boucle de rétroaction. »

Données à la sortie de modèles

Pour cette étude révélant une probabilité de 60 % du déclenchement d’un RILE en 2030, 26 modèles climatiques ont été exploités, chacun avec une simulation unique, ainsi que 5 grands ensembles comprenant entre 30 et 50 simulations, permettant d’analyser la variabilité interne des modèles. « Pour ce faire, j’ai utilisé et analysé les données issues des modèles, disponibles en ligne. Je n’ai donc pas réalisé moi-même ces simulations », précise Annelies Sticker.

Un modèle climatique est une représentation de la réalité comprenant des incertitudes. Concrètement, il s’agit d’un logiciel complexe qui simule l’évolution du climat terrestre à l’aide d’équations, traduites en code informatique, représentant les interactions physiques entre l’atmosphère, les océans, les terres et la glace. La planète est divisée en petites zones tridimensionnelles, chacune définie par des conditions initiales comme la température ou l’humidité. Le modèle calcule ensuite, étape par étape, l’évolution de ces paramètres en fonction de divers scénarios d’émissions de gaz à effet de serre.

Recours à un supercalculateur

Dans l’optique de faire tourner des modèles climatiques, les chercheurs doivent avoir recours à des supercalculateurs. Pour avoir accès à cette force de calculs phénoménale, il faut au préalable démontrer la cohérence de son projet, car cela coûte cher tant en argent qu’en temps.

Soutenue par une bourse Fulbright, dans la seconde partie de sa thèse, Annelies Sticker s’est rendue à Boulder, dans le Colorado, afin de faire tourner elle-même ses simulations sur le modèle climatique américain. Et ce, grâce à un supercalculateur placé dans le désert environnant. De retour de cette expérience enrichissante, la jeune chercheuse se donne désormais un peu de temps pour analyser les résultats obtenus. Sa thèse devrait être déposée d’ici fin 2026.

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