Série : On the rocks ! (7/7)
L’Arctique se réchauffe de 2 à 4 fois plus vite que la moyenne mondiale. La banquise y est menacée. Toutefois, l’idée d’une bombe climatique arctique liée à la fonte du pergélisol, et donc à l’émission massive de méthane (un gaz à effet de serre environ 80 fois plus puissant que le CO2), s’effrite.
Un profond puits
« Bien que le pergélisol sous-marin (couche de sol gelé en permanence située sous les fonds marins, principalement dans les régions arctiques, NDLR) soit en train de fondre, le méthane libéré est rapidement oxydé et n’atteint pas la surface de l’océan. Ce processus entraîne toutefois une émission supplémentaire de CO₂. Cependant, cet apport reste marginal, car il est absorbé par l’océan Arctique, qui agit comme un puits de carbone. Certes, la fonte du permafrost sous-marin peut réduire l’efficacité de ce puits, mais de récentes mesures ont montré que l’océan Arctique absorbe en réalité bien plus de CO₂ que ce que l’on pensait jusqu’à présent, avec une sous-estimation estimée de 20 à 40 % », explique Dr Bruno Delille, chercheur au sein de l’unité d’Océanographie chimique à l’ULiège.
Récemment, de nouvelles sources de gaz à effet de serre ont été identifiées, notamment la production de méthane sous les glaciers, due à des activités microbiennes sous la calotte de glace. « Ce phénomène a été détecté au Groenland, en Antarctique et en Arctique, mais pas systématiquement partout. L’empreinte de ce méthane reste localisée, sur un à deux kilomètres, et ne devrait pas bouleverser de manière significative l’enjeu global du méthane dans les régions arctiques ou antarctiques », précise Dr Delille.
Budget de l’impact de la banquise
D’autres investigations sont en cours pour mieux comprendre la dynamique des gaz en Arctique. C’est notamment le cas du projet européen GreenFeedBack (2023-2026), dont l’originalité est de combiner tous les écosystèmes arctiques : terrestres, d’eau douce et marins. Mais aussi d’essayer d’anticiper l’impact des changements des activités humaines (par exemple, implantation d’une ferme d’aquaculture) sur les puits et sources de GES, notamment via des rencontres avec la population locale et les actionnaires d’entreprises.
« A l’ULiège, nous coordonnons le volet marin. Nous allons regarder le rôle de la glace de mer dans les sources et puits de CO2, et en particulier les flux de CO2 depuis la glace de mer vers l’atmosphère. A l’issue de ce projet, nous espérons obtenir une estimation globale des flux (budget) de l’impact de la banquise par elle-même, en plus des bilans quantitatifs des échanges air-mer », explique Bruno Delille.
Une expédition dérivante
En parallèle, une mission océanographique en Arctique visant à l’étude de la glace de mer sous toutes ses coutures, dénommée Micro-SHIFT (Microbial life of Sea ice Habitats Investigated ForThe Arctic), réalisée dans le cadre d’un ERC starting grant, vient de se clôturer. A son bord, 25 scientifiques, de différentes nationalités, émanant de différentes universités, chacun avec son domaine d’études propres. Parmi eux, Axelle Brusselman, doctorante au sein de l’Unité d’océanographie chimique de l’ULiège.

Dirigée par Karley Campbell de l’Université Arctique de Norvège (UIT), il s’agissait d’une campagne de dérive : le brise-glace RV Kronprins Haakon est entré dans la banquise et s’y est amarré pendant 20 jours, pour dériver avec la glace de mer. «Le choix de l’emplacement a été long, car il fallait, pour les spécificités des recherches à mener, une plaque de glace ni trop grande (au risque qu’elle se casse), ni trop petite (pour pouvoir travailler à 25), ni trop épaisse (maximum 2 mètres pour faciliter le carottage) répondant à des critères bien précis : des ridges et des leads devaient être présents. La glace de mer est composée de plaques mobiles qui, en se heurtant, forment sous l’eau des structures appelées ridges, constituées de blocs de glace superposés. Quant aux leads, il s’agit d’un canal d’eau entre deux plaques de glace », explique la jeune chercheuse qui réalise sa thèse sous la houlette de Bruno Delille.

Collecte de précieux échantillons
« La vie se passait à bord du bateau, mais chaque jour, nous sortions sur la banquise pour suivre un cycle d’échantillonnage répété tous les quatre jours. Des profils de la colonne d’eau ont été réalisés avec une bouteille Niskin jusqu’à 4000 mètres de profondeur. De l’eau en contact avec la glace a été prélevée à l’aide d’une pompe. Les gaz atmosphériques au-dessus de la neige et de la glace ont été mesurés grâce à une chambre dédiée. Lors des journées de carottage, trois types d’échantillons ont été collectés : pour l’analyse des gaz, des isotopes de l’azote, et des paramètres physiques comme le O18, qui renseigne sur l’origine et la formation de la glace », continue-t-elle.

« Cette expédition n’était pas directement liée à ma thèse étant donné qu’elle s’est déroulée en Arctique (et non en Antarctique). Toutefois, elle partageait les mêmes objectifs scientifiques d’étude de dynamiques biogéochimiques, de flux des gaz. Cette mission m’a permis d’acquérir une précieuse expérience de terrain et de recueillir des échantillons rares qui pourront être utiles à d’autres membres du laboratoire. » L’équipe de Bruno Delille va y mesurer les gaz principaux (argon, azote, oxygène) et les gaz à effet de serre (méthane, N2O, CO2).