Ce que fait notre cerveau quand on ne pense à rien

22 août 2025
par Camille Stassart
Temps de lecture : 5 minutes

Série : Plongée dans nos pensées (3/3)  

« A quoi penses-tu ? » demande l’un. « A rien… », répond l’autre. Et il est bien possible que ce soit le cas. Par moments, il nous arrive d’avoir l’esprit complètement vide, sans pensée, sans image, sans mot. Rien. Ce phénomène de « vide mental » (mind blanking, en anglais) intrigue les scientifiques.

Dans une récente publication, la Pre Athena Demertzi, chercheuse qualifiée FNRS et responsable du laboratoire Physiology of Cognition (GIGA – ULiège), synthétise avec des collègues les résultats de plusieurs études sur ces épisodes de « blancs » mentaux, et avancent un nouveau modèle expliquant les mécanismes cérébraux impliqués.

Mind blanking © Pexels Olly

Un état conscient à part

Bien qu’évoquées dès les années 1990, ces interruptions de la pensée n’ont suscité l’attention des chercheurs que récemment. L’essor des travaux sur le vagabondage mental (mind wandering) a entraîné dans son sillage l’intérêt pour cette autre catégorie d’états conscients, où l’esprit semble ne mener…nulle part.

Comme le vagabondage mental, le vide mental surviendrait de manière involontaire, contrairement à la rêverie ou la méditation qui sont des pratiques actives. L’imagerie cérébrale révèle toutefois que les moments de mind blanking s’accompagnent d’une activité cérébrale propre, distincte du vagabondage mental.

« Thomas Andrillon (Paris Brain Institute, CNRS – INSERM), premier auteur de la publication, étudie actuellement ce phénomène via l’électroencéphalographie (EEG) », précise la Pre Demertzi. Cette technique sert à mesurer l’activité électrique du cerveau grâce à des capteurs placés sur la tête. « De notre côté, au laboratoire du GIGA, on l’a exploré à l’aide d’IRM fonctionnelle (IRMf) », en vue de visualiser l’activité des régions cérébrales lors de ces phases.

Quand le cerveau fait la sieste

« Avec l’IRMf, on a pu observer que pendant cet état mental, toutes les régions du cerveau communiquent de manière synchronisée. Imaginez un sapin de Noël illuminé par une guirlande dont toutes les lumières clignotent à l’unisson. C’est ce qu’on appelle l’hyperconnectivité. Pour autant, cela ne signifie pas que le cerveau est en hyperactivité », nuance la Pre Demertzi.

Au contraire, ce schéma cérébral ultra-connecté est probablement lié à une baisse générale de l’activité des neurones, « quelque chose que l’on observe normalement quand le cerveau est en phase de sommeil lent profond.»

Pour rappel, le sommeil comporte plusieurs phases : l’endormissement, le sommeil lent léger, le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal. Chacune de ces phases est marquée par des variations dans l’activité électrique du cerveau. En sommeil lent profond, le cerveau produit des ondes lentes, de grande amplitude et de faible fréquence. « Et c’est exactement ce que Thomas Andrillon a mesuré grâce à l’EEG quand les participants rapportaient ne penser à rien. »

Fatigue, surcharge, défaillance cognitive… des mécanismes multiples

En d’autres termes, ces blancs mentaux s’apparenteraient à un petit somme du cerveau, qui surviendrait plus volontiers lorsque la fatigue s’installe. « Epuiser nos ressources cognitives – après avoir réalisé une tâche exigeante, ou en cas de privation de sommeil – pourrait effectivement induire davantage d’épisodes de mind blanking. »

Mais cette déconnexion à nos pensées ne semble pas seulement liée à un manque d’énergie. La Pre Demertzi soupçonne qu’un excès de stimulation pourrait aussi la déclencher : « On a, par exemple, montré que lorsqu’on faisait pédaler rapidement des participants sur un vélo, ils avaient tendance à expérimenter immédiatement après l’exercice davantage de périodes de vide mental. »

Dans leur publication, les chercheurs suggèrent également que ce silence mental pourrait résulter de défaillances temporaires ou pathologiques de la mémoire, du langage ou de l’attention. Dans ce cas, des pensées seraient bel et bien générées, mais on ne parviendrait pas à les restituer, par distraction, oubli ou incapacité à les verbaliser.

Mind blanking © Pexels Yaroslav Shuraev

Une pause pour éviter la surchauffe

Une hypothèse actuellement investiguée par la chercheuse est que cette interruption des pensées aiderait à la régulation homéostatique : « Cela permettrait au cerveau de rester en équilibre. De la même manière qu’un ordinateur s’échauffe au bout d’un temps et qu’on doive l’éteindre pour qu’il se refroidisse, cet état mental pourrait être un reflet du mécanisme qui évite la surchauffe du système.»

« Ce phénomène soutiendrait donc potentiellement notre santé cognitive. Dans cette idée, si les phases de mind blanking sont trop nombreuses ou, au contraire, trop rares, cela pourrait être le signe de pathologies. On sait notamment que les personnes souffrant de troubles de l’anxiété ou d’un trouble de l’attention en rapportent davantage », signale la chercheuse.

Explorer plus en profondeur ce vide mental pourrait aider à mieux cerner les mécanismes qui nous maintiennent éveillés et attentifs. Son étude montre aussi que cette expérience diffère selon les individus, dépendant de facteurs psychologiques et cérébraux. Ce qui pourrait offrir des pistes pour mieux comprendre certaines pathologies, comme le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH).

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