Le réchauffement climatique est dû à l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère suite aux activités humaines depuis le XIX siècle lors de la Révolution Industrielle. On remarque une nette accélération depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit principalement de l’usage de combustibles fossiles qui émettent du dioxyde de carbone (CO2) et de l’agriculture (élevage de bovins, notamment) pour le méthane (CH4). La rapidité du réchauffement que subit la planète Terre est sans comparaison avec le passé, quelle que soit l’échelle de temps considérée.
C’est cette rapidité sans précédent qui pose des problèmes de plus en plus pressants liés à l’intégrité des écosystèmes terrestres et marins, à l’adaptation des sociétés (modes de vie), à l’activité économique, dont la production agricole, aux conflits géopolitiques (migrations et accès aux ressources telles que l’eau), … Pour envisager les solutions et agir, il est nécessaire d’identifier et de quantifier les sources de gaz à effet de serre.
Sources de dioxyde de carbone, mais surtout de méthane
De par l’activité microbienne, les lacs produisent et émettent des gaz à effet de serre vers l’atmosphère. A l’échelle mondiale, les lacs émettent relativement peu de CO2, l’équivalent d’un tiers de la déforestation, mais beaucoup de CH4, l’équivalent de la moitié des émissions par l’agriculture, selon certaines études. Vu qu’il s’agit de gaz à effet de serre, on peut se dire que cela va réchauffer le climat. En fait, ce n’est pas aussi simple.
Des écosystèmes naturels restés inchangés qui émettraient autant de gaz à effet de serre de nos jours qu’à l’époque précédant la Révolution Industrielle ne contribuent pas à augmenter la quantité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère observée de nos jours. Ces émissions ne suffisent qu’à maintenir la concentration de gaz à effet de serre d’avant la Révolution Industrielle à laquelle vient s’ajouter la concentration de gaz à effet de serre dus aux activités industrielles et agricoles.
De manière peu intuitive, certaines émissions de gaz à effet de serre ne réchauffent pas le climat. La distinction entre émissions qui réchauffent et celles qui ne réchauffent pas le climat est au cœur de la science sur le climat qui permet d’envisager des solutions et de faire des recommandations aux décideurs.
Par conséquent, on pourrait conclure que les lacs ne contribueraient pas au réchauffement climatique s’ils étaient restés inchangés depuis la Révolution Industrielle. Or, ce n’est pas le cas.
Les lacs sont profondément perturbés par les activités humaines
En effet, les lacs ont subi des modifications depuis la Révolution Industrielle. Ils ont été enrichis par des nutriments (nitrates et phosphates) à un degré variable – c’est ce que l’on appelle l’eutrophisation – de manière très marquée dans les pays économiquement développés et à fort développement économique (pays du Nord et Chine). Et ce, par le lessivage des engrais des sols agricoles, mais aussi – même dans les zones les plus reculées et préservées – par des dépôts atmosphériques.
L’augmentation de la concentration en nutriments entraîne une augmentation de la croissance de micro-algues qui fixent du CO2. Donc, en théorie, les émissions de CO2 vers l’atmosphère devraient diminuer. Le revers de la médaille est que cet excès de micro-algues stimule aussi l’activité microbienne dans les sédiments des lacs et la production de CH4. Or, le CH4 a une capacité de réchauffement environ 30 fois plus forte que celle du CO2.
Ce scénario suppose que l’eutrophisation ne concerne qu’un apport de nutriments, mais l’eutrophisation s’accompagne souvent aussi d’un apport de matière organique selon plusieurs cas de figure. Le lessivage des sols agricoles s’accompagne d’un transfert de matière organique du sol même. L’eutrophisation est en partie liée à l’écoulement d’eaux usées (égouts, lisier), riches en matière organique qui, lorsqu’elle sera dégradée par l’activité microbienne, produira du CO2. Dès lors, dans beaucoup de cas de figure, l’eutrophisation s’accompagne d’une augmentation des émissions de CH4, mais aussi de CO2.
Les eaux et les sédiments des lacs subissent également le réchauffement climatique. Or, une augmentation de température stimule l’activité microbienne dans les sédiments des lacs et la production de CH4. Le réchauffement des lacs devrait amplifier la production de gaz à effet de serre liés à l’eutrophisation.
Les “nouveaux lacs” recèlent d’inconnues à explorer
On peut poser comme hypothèse que les quantités de gaz à effet de serre produites par les lacs auraient augmenté depuis la Révolution Industrielle. Or, les émissions vers l’atmosphère dépendent de la quantité de gaz à effet de serre contenue dans chaque lac, mais aussi du nombre de lacs. Beaucoup de nouveaux systèmes lacustres ont été construits depuis la Seconde Guerre mondiale comme des barrages hydro-électriques, mais aussi des systèmes plus petits en milieu agricole pour le stockage d’eau pour le bétail ou l’irrigation, ou encore la régulation de l’écoulement des eaux de pluie.
Il en est de même pour les étangs urbains : leurs émissions de gaz à effet de serre, non étudiées jusqu’il y a peu, se révèlent en réalité particulièrement élevées.
Les émissions de gaz à effet de serre par tous ces systèmes lacustres artificiels, qui étaient absents avant la Révolution Industrielle, vont contribuer au réchauffement climatique.
Une des clés pour stabiliser ou diminuer les émissions de gaz à effet serre passera par l’agriculture tant au niveau de la production que de la consommation. La production de viande bovine est responsable de 15% du réchauffement climatique. L’usage en agriculture intensive des engrais chimiques est responsable de 10% du réchauffement climatique selon les bilans actuels. Or, ces estimations ne tiennent pas compte de l’effet de l’eutrophisation sur les cours d’eau et les lacs, et des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre qui en découlent.
Une quantification complexe
La quantification des émissions de gaz à effet de serre par les lacs est difficile à réaliser. On doit connaître la surface totale occupée par ces systèmes. Cela est complexe pour les très petits plans d’eau (étangs et mares), car ils sont très nombreux, se chiffrant en dizaines de millions à l’échelle mondiale, et souvent trop petits pour être détecté de manière fiable et exhaustive par imagerie satellitaire. Plus les systèmes sont petits, plus les valeurs des émissions sont plus intenses. Elles sont aussi variables, ce qui rend le choix de la « bonne » valeur à extrapoler d’autant plus compliquée à calculer.
Pourquoi étudier les lacs africains ?
Le Rift africain est le second site au monde regroupant des très grands lacs après la région des Grands Lacs en Amérique du Nord. Les grands lacs africains sont immenses, comme le lac Victoria (qui s’étend en Ouganda, Tanzanie, Kenya) qui est le plus grand lac tropical au monde, et qui couvre une surface deux fois plus grande que la Belgique. Soit vingt fois la surface de la zone économique exclusive marine belge.
Par la présence de ces grands lacs, le continent africain comptabilise 66% de la surface mondiale des lacs tropicaux. Cependant, ces derniers ont été bien moins étudiés que les lacs tempérés ou boréaux, et fonctionnent de manière fort différente. Cela implique que les connaissances dérivées de l’étude des lacs tempérés et boréaux ne sont pas directement transposables aux lacs tropicaux. De la même manière que les connaissances dérivées de l’étude de l’écologie de la faune et de la flore des forêts du nord de l’Europe ne sont pas directement applicables à la forêt amazonienne. Il y aura quelques points communs à un niveau très général, mais d’innombrables différences se manifestent dans le détail.
Les lacs tropicaux subissent un ensoleillement et des températures chaudes en continu. Un été éternel en quelque sorte, ce qui contraste évidemment avec les lacs tempérés et boréaux qui subissent un hiver plus ou moins sévère en fonction de la latitude. L’été éternel favorise la croissance de micro-algues dans les lacs tropicaux. Cela permet de diminuer les émissions de CO2, mais stimule les émissions de CH4, comme cela a été montré par une étude réalisée dans les lacs africains.
Comment vont évoluer les émissions de gaz à effet de serre par les lacs?
Le potentiel hydroélectrique des zones tropicales est immense. Il est très probable que le nombre de barrages hydroélectriques va fortement augmenter pour répondre à la demande en électricité pour la population et l’activité économique croissantes en Afrique et ailleurs sous les tropiques.
D’un autre côté, l’augmentation de l’évaporation suite au réchauffement climatique, mais aussi la diversion des cours d’eau (modification du trajet naturel d’une rivière via sa dérivation partielle ou totale, NDLR) ou encore l’extraction directe d’eau pour l’agriculture pourraient réduire, voire faire disparaître, des lacs naturels. Tels que les lacs Chad et Turkana en Afrique, ou le lac Titicaca en Amérique du Sud, ou bien le lac Tonlé Sap en Asie du Sud-Est. La disparition d’un lac naturel entraînera une diminution d’émission de gaz à effet de serre (en même temps que la disparition d’un écosystème à forte biodiversité). A l’inverse, la fonte des glaciers à la suite du réchauffement climatique mènera à la formation « naturelle » de lacs et de mares en haute montagne, bien qu’il est improbable que cela compense la disparition des lacs en basse altitude.
En conclusion, à la question « Les lacs, réchauffent-ils le climat ? », la réponse est une réponse de Normand (oui et non). Ce que l’on peut mesurer expérimentalement correspond à un signal qui combine une part naturelle et une part liée à la perturbation par diverses activités humaines.
Dans les années à venir, les scientifiques travaillant dans le domaine vont essayer de quantifier la part naturelle et la part de perturbation, ce qui est essentiel pour quantifier de manière pertinente la contribution des lacs au réchauffement climatique.
Il s’agit d’une tâche difficile vu que l’on chiffre le nombre de lacs, d’étangs et de mares en dizaines de millions. Cela nécessitera des données de terrain recueillies dans des systèmes lacustres présentant une grande diversité de tailles et de profondeurs, situés sous différents climats, et des extrapolations utilisant des données spatiales (notamment satellitaires) basées sur de l’intelligence artificielle (via l’apprentissage automatique).
Note : Chaque mois, Daily Science donne carte blanche à l’un(e) ou l’autre spécialiste sur une problématique qui l’occupe au quotidien. Et ce, à l’occasion d’une des journées ou semaines mondiales des Nations-Unies. Aujourd’hui, la Journée mondiale des lacs.