
«Quel que soit l’environnement familial, l’enfant aura besoin de connaître ses origines», affirme Émilie Moget. «Pouvoir répondre à la question ‘D’où je viens?’. Pour éclairer une autre question ‘Qui suis-je?’. Les réponses qu’il découvrira au fil du temps lui permettront alors de savoir ‘Où aller dans la vie’. Ces trois questions existentielles attisent le parcours de vie de tout individu humain.»
D’orientation psychanalytique, la psychothérapeute montre la nécessité de construire et de s’approprier son histoire dans «Faire récit pour attraper le fil des générations» de la collection Temps d’arrêt du programme Yapaka. Riche en pistes pour éviter la maltraitance des enfants et des adolescents au sein de la famille. Diffusé gratuitement par le ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le livre éclaire les professionnels. Pour accompagner enfant, adolescent et parents à démêler les fils de leur histoire.
L’environnement familial est primordial
Pour la psychologue des Consultations psychologiques spécialisées en histoires de la vie à l’UCLouvain, «l’environnement familial reste premier pour une transmission de son histoire à l’enfant. Lui offrant la possibilité d’en prendre connaissance, de l’accueillir et de la faire sienne.»
Les familles détiennent les savoirs d’une filiation de plus en plus complexe… «Auparavant, il était fréquent que la procréation, la filiation et la parentalité se confondent et soient issues des mêmes personnes. Aujourd’hui, les filiations sont multiples et interrogent sans doute encore un peu plus la question des origines. Au point de se demander: qu’est-ce que l’origine? Qu’est-ce qui la fonde? Où débute-t-elle? Y accède-t-on un jour? Et puis, dans quel but la rechercher?»
Prévenir les troubles de l’identité
Évoquer avec l’enfant sa famille, les liens et les relations entre ses membres prévient les troubles de l’identité, de l’attachement. Des événements du passé peuvent côtoyer ceux du présent. L’origine biologique de l’enfant marque parfois l’histoire de sa vie.
«Au travers du travail psychothérapeutique, les patients nous enseignent ce que la transmission – ou l’absence de transmission – de l’histoire peut avoir comme incidence dans leur vie», explique la docteure en psychologie. «Deux récits invitent à la réflexion sur le retour aux origines et les effets à se raconter à soi-même. Le premier témoigne des effets d’une absence de symbolisation qui conduit à une série de passage à l’acte pour se sentir exister. Le second, quant à lui, permet de saisir que la modification du récit fictionnel des origines implique la nécessité d’une quête originelle pour reconstruire une narration de soi au plus près des faits de la réalité.»
Une évolution au cours de la vie
L’histoire des origines est toujours à remettre sur le métier. Elle ne se matérialise qu’après-coup au travers d’un récit de soi qui évolue au cours du temps. En remontant à ses origines, un patient a mis en mots ce qui est au cœur de sa souffrance. Raconte qu’il a été adopté à l’âge d’un an. Que ceux qui sont devenus ses parents ne semblaient pas mesurer l’importance de lui en dire quelque chose. Et que ce n’est qu’à l’adolescence qu’il a appris qu’il avait été adopté lorsqu’il était bébé. Évoluant dans un environnement familial qu’il décrit comme peu chaleureux, ce patient peine à trouver sa place. Une blessure narcissique liée à une réaction de rejet de son père mourant va, semble-t-il, rouvrir d’autres blessures plus profondément ancrées. C’est à partir de ce moment charnière que sa souffrance va s’exprimer par des actes.
Ce qui fait la psychopathologie pour Émilie Moget, «c’est la souffrance inhérente à ce souvenir mnésique, à cette réminiscence. L’absence de mots venant donner sens à son existence est prégnante et le travail thérapeutique dans lequel il va s’engager a rempli cette fonction-là. Se remémorer, ramener à la conscience dans le but de métaboliser ses expériences. Ce travail peut pallier et venir border les trous. Il participe alors à la construction d’un récit au départ de ce qui est accessible à la pensée pour le sujet. Et les hypothèses que le thérapeute peut alors formuler et renvoyer au patient peuvent initier un nouveau tissage. Un travail d’appropriation de l’histoire.»
«La diversité et la complexité des récits à l’œuvre au sein des modèles familiaux existants engagent aussi notre responsabilité collective», souligne la psychologue clinicienne. «Notre engagement en tant que professionnels en appelle à accompagner, à accueillir une parole ou un acte qui interroge, qui tisse l’histoire du sujet, afin de laisser ouverte la voie de l’élaboration. Il y a matière à poursuivre une réflexion de fond dans l’intérêt de tous.»