Imaginez un monde où vous pourriez voir, en temps réel, les particules cosmiques qui traversent votre corps à chaque instant. Un monde où l’invisible devient visible, où les traces des électrons, des muons et des noyaux d’hélium s’affichent sous vos yeux comme des étoiles filantes microscopiques. Ce n’est pas de la science-fiction, mais bien la réalité offerte par la chambre à brouillard installée à Mons, au Musée de l’Université. Ce dispositif, visible au rez-de-chaussée du MuMons, fait partie de l’exposition temporaire « Électrique ! ». Et il est fascinant.
« La chambre à brouillard présentée ici est une fenêtre ouverte sur un univers que nos sens ne peuvent pas percevoir », explique le physicien Nicolas Demasy, un passionné de vulgarisation scientifique. « Elle se compose d’une boîte transparente d’un mètre carré, haute de quelques centimètres et au fond de laquelle flotte un tapis de brouillard. »
Des muons, des électrons, des particules alpha
En y regardant de plus près, on découvre un ballet de fines traînées éphémères qui apparaissent et disparaissent de manière aléatoire. Chacune racontant une histoire différente. « Ces traînées fugaces, ces sont les traces laissées par le passage des particules élémentaires. C’est un peu comme observer les vagues laissées par un bateau, plutôt que le bateau lui-même », explique le scientifique. De quelles particules s’agit-il? « Des électrons, des muons, et même des particules alpha.»
C’est à la forme des traces qu’on identifie les particules qui viennent de filer à travers la chambre à brouillard. Les électrons, légers et agiles, laissent des traces en zigzag. Les muons, cousins plus lourds des électrons, traversent la chambre en ligne presque droite, tels des voyageurs pressés. Quant aux particules alpha (des noyaux d’hélium), elles dessinent des traces courtes et épaisses, comme des coups de pinceau sur une toile.
Vapeurs d’alcool
Comment cela fonctionne-t-il? Grâce à de l’alcool et des températures glaciales. Dans le bas du dispositif, se trouve une plaque refroidie à -40°C. Cela permet de générer, juste à sa surface, une fine couche de brouillard composée de vapeur d’alcool. Ce brouillard est maintenu dans un état instable, prêt à se condenser à la moindre perturbation. Quand une particule chargée traverse ce brouillard, elle perturbe les molécules d’alcool, qui se condensent instantanément en micro-gouttelettes. Résultat : grâce à l’éclairage rasant du dispositif, une traînée apparaît, révélant la trajectoire de la particule.

Des particules venues de l’Espace
L’espace est traversé en permanence par des particules très énergétiques chargées électriquement: c’est le rayonnement cosmique. Cette électricité a plusieurs origines : le Soleil, les autres étoiles, voire même des astres appartenant à d’autres galaxies. L’interaction de ces particules cosmiques avec notre atmosphère dépend de leur énergie. Si elle est basse, cette électricité provoque des aurores polaires. Si elle est haute, elle génère des particules secondaires, voire tertiaires: celles dont les traces sont visibles dans la chambre à brouillard.
Chaque seconde, environ 200 particules traversent un mètre carré à la surface de la Terre, y compris ses habitants. Dans la chambre à brouillard montoise, ce sont les traces de ces particules cosmiques qu’on observe de manière aléatoire. Pour rendre le phénomène encore plus accessible, Nicolas Demasy insère dans la chambre à brouillard un mini échantillon de matériau (faiblement) radioactif. Au bout de son aiguille apparaissent soudain de multiples traînées lumineuses. Ce sont les particules alpha issues de la radioactivité qui viennent zébrer le fameux brouillard.
Pourquoi une chambre à brouillard dans une expo sur l’électricité ? À première vue, le lien n’est pas évident. Selon le Dr Demasy, il est pourtant fondamental. « Quand on parle d’électricité, les gens pensent aux ampoules, aux frigos, aux prises murales. Mais l’électricité, c’est bien plus que ça. Elle est partout, même dans l’espace », explique-t-il. « Presque toutes les particules de matière sont chargées électriquement. Même nous, nous sommes faits de particules chargées. L’électricité, c’est une force universelle. »
Comprendre l’origine des technologies
Depuis des années, le physicien et l’équipe de l’Université de Mons fabriquent des chambres à brouillard avec les étudiants. Pas besoin de machines ultra-sophistiquées : un peu d’alcool, de la neige carbonique pour refroidir la plaque, et le tour est joué.
« C’est une façon de leur montrer que la physique des particules n’est pas réservée aux grands laboratoires comme le CERN », dit-il encore. « On peut comprendre les principes de base avec des outils simples. Et surtout, cela donne une vision concrète de ce qui est étudié. En fabriquant un chambre à brouillard, les étudiants se mettent dans la peau d’un physicien, mais aussi d’un bricoleur, d’un ingénieur, et même d’un historien des sciences », assure-t-il.
Pour le scientifique, ce genre d’expérience qui nécessite de mettre la main à la pâte est d’une grande richesse pédagogique. « Cela permet de former des étudiants qui ne sont pas des analphabètes scientifiques. Ils comprennent d’où viennent ces technologies, comment on les a inventées, et pourquoi elles sont importantes. »
Dans l’exposition du MuMons, la chambre à brouillard n’est donc pas qu’un instrument de mesure. C’est aussi un objet capable d’éveiller la curiosité du public. « Quand les gens voient ces traces apparaître sous leurs yeux, ils sont souvent émerveillés. Ça leur montre que la science n’est pas abstraite, qu’elle est vivante, qu’elle bouge et qu’elle nous entoure », conclut-il. Une bonne raison d’aller découvrir l’expo « Electrique ».