Précieuses prairies sous-marines, les herbiers de posidonies ont été fortement fragilisés par les activités humaines depuis une cinquantaine d’années. Afin de préserver leur existence, ils font aujourd’hui l’objet de tentatives de restauration. Arnaud Boulenger, chercheur en biologie marine au sein de l’unité de recherche FOCUS de l’Université de Liège a montré que le choix de la méthode de transplantation des boutures influence directement les communautés bactériennes des racines, un élément clé pour la survie des plants.

Un écosystème crucial
La posidonie, bien que vivant sous l’eau, n’est pas une algue, mais une plante marine à fleurs dotées de racines qui s’ancrent dans le sédiment. L’espèce endémique de la mer Méditerranée se développe sur tout son pourtour, jusqu’à 40 mètres de profondeur dans des eaux limpides, formant de véritables prairies sous-marines.
Ces herbiers remplissent des fonctions écologiques essentielles : ils servent de nurseries aux jeunes poissons et invertébrés, d’habitat aux adultes, et de zones d’alimentation pour de nombreuses espèces. Par la photosynthèse, ils contribuent à l’oxygénation de la mer et à la séquestration du carbone.
Ils jouent également un rôle crucial dans la protection des côtes contre l’érosion. Leurs racines et rhizomes stabilisent les fonds sableux et limitent la dispersion du sable. Même mortes, les posidonies restent utiles : leurs feuilles, qui tombent toute l’année mais surtout à l’automne, s’accumulent sur les plages en « banquettes », des dépôts qui retiennent le sable et freinent le recul du littoral.
Mais au cours des dernières décennies, les herbiers ont subi une forte régression. La construction de diverses infrastructures maritimes, comme des ports, a fortement empiété sur le milieu marin. En parallèle, des surfaces considérables d’herbiers ont été directement endommagées par l’ancrage de gros bateaux de plaisance.

Réduction de la menace
« Restaurer un écosystème n’a de sens que si la pression humaine responsable de la régression est réglementée et drastiquement réduite », énonce Dr Boulenger.
En juin 2019, un décret français a interdit l’ancrage de tous les bateaux de plus de 24 mètres dans les herbiers de posidonie de la Méditerranée. Parallèlement, de nombreuses zones touristiques ont installé des bouées de mouillage, permettant aux bateaux de s’amarrer sans toucher le fond afin de limiter leur dégradation.
Avec cette menace réduite, les conditions étaient idéales pour tester trois méthodes de transplantation de boutures de posidonie afin de soutenir et d’accélérer les processus de recolonisation naturelle des zones endommagées.

Des agrafes plutôt que des pommes de terre
Chaque méthode a exploité une surface d’accroche différente, devant permettre aux boutures de s’adapter à leur nouvel environnement, de produire des racines et de s’ancrer dans le sédiment. Des boutures ont ainsi été fixées à l’aide d’agrafes métalliques, tandis que d’autres ont été placées sur un tapis de fibre de noix de coco ou encore sur une structure 3D à base d’amidon de pomme de terre.
Les trois techniques ont été testées simultanément, dans les mêmes conditions environnementales. En les comparant, il est apparu que la méthode utilisant des agrafes métalliques était la plus efficace.
« Les boutures fixées avec des agrafes présentaient un taux de survie plus élevé. De plus, leur système racinaire se développait bien mieux, tant en longueur qu’en largeur, que celui des boutures attachées à l’aide d’un tapis en fibres de noix de coco ou d’une structure polymérique en amidon de pomme de terre. Pour ces dernières, même trois ans après la transplantation, la croissance des racines restait quasi inexistante », explique Dr Arnaud Boulenger.

L’importance des bactéries racinaires
« On a également constaté que les communautés bactériennes présentes dans les racines des boutures fixées avec des agrafes métalliques avaient une composition et une abondance très proche de celle d’un herbier naturel. À l’inverse, le microbiome observé dans les racines des boutures installées sur un tapis de fibres de coco ou sur une structure polymérique à base d’amidon de pomme de terre restait, même deux ans après la transplantation, très différent de celui d’un herbier sain », poursuit le chercheur.
Dans un herbier naturel, deux groupes bactériens dominent le microbiome : les Chromatiales et les Desulfobacterales. Ils jouent un rôle écologique crucial en fixant l’azote atmosphérique et en détoxifiant le sédiment du H₂S, un composé naturel toxique pour les herbiers et particulièrement concentré dans les zones dégradées par l’ancrage.
Objectif : renforcer les jeunes pousses
« La priorité est désormais de vérifier si ces 2 groupes bactériens influencent réellement le développement morphologique et physiologique de la plante — croissance des feuilles et des racines, absorption des nutriments, etc. Pour cela, des expériences en mésocosme, c’est-à-dire en conditions contrôlées, vont être mises en place » , explique celui qui débute un post-doctorat sur ces questions à Stareso, en Corse.
« Ensuite, si des tests en aquarium montrent que l’inoculation de ces deux groupes bactériens améliore la santé des posidonies, des expériences d’inoculation seront menées en milieu naturel. Et ce, afin de renforcer la survie des boutures, particulièrement vulnérables durant les premières années suivant leur transplantation, le temps que leur système racinaire se développe. » De quoi ouvrir la voie à des techniques plus efficaces de restauration de cet écosystème marin.