
«L’art de guérir a beau révolutionner notre espérance de vie depuis deux siècles, il se heurte, dès le stade du diagnostic, à des énigmes insolubles», constate le psychiatre Ivan 0. Godfroid dans «Les symptômes médicaux inexpliqués» aux éditions Academia. «On considère que les symptômes médicaux inexpliqués représentent jusqu’à 45% des consultations en médecine générale. Et encore un patient sur cinq chez le spécialiste.»
Bien des traitements sont des placebos
Ivan 0. Godfroid scrute les capacités déroutantes du cerveau. Le rôle insoupçonné de l’inconscient. Les symptômes médicalement inexpliqués. «Notre méconnaissance contamine largement la thérapeutique comme dans l’effet placebo», souligne le chef de service à l’hôpital Marie Curie du CHU Charleroi-Chimay. «Il s’agit d’un processus inconscient. Il concerne l’être humain, mais peut également être observé chez l’animal. Et s’adresse au plan individuel.»
Après l’administration d’un produit sans principe actif, le cerveau peut activer des mécanismes curatifs… «Sauf en cas de coma ou de démence avancée. Bien des traitements sont des placebos qui s’ignorent – médicaments inefficaces, ou prescrits dans une mauvaise indication. Comme les antibiotiques pour la grippe, une affection virale contre laquelle ils ne servent à rien. Ou encore médicaments efficaces, mais administrés à une dose trop faible. Opérations chirurgicales hors indication… On les appelle ‘des placebos impurs’. Et curieusement, ils gardent le pouvoir d’aider. Voire de guérir des patients.»
«Plus étonnant encore, un placebo demeure efficace, même si le médecin révèle au malade qu’il va recevoir un placebo.»
Décloisonner la médecine et la science
Le Dr Godfroid décrit sa ‘maison Utopie’. Se réfère à l’humaniste anglais Thomas More, auteur d’Utopia publié en 1516 à Louvain.
«L’édification de la maison Utopie est une tentative de conférer un sens à ce qui en est dépourvu: les situations cliniques énigmatiques. Cette absence de logique a valu à ces conditions d’être la plupart du temps négligées. Souvent niées. Rarement considérées. La maison Utopie porte un plaidoyer en faveur d’un décloisonnement de la médecine. Et au-delà de la science.»
Appliquée aux neurosciences, la notion d’utopie offre-t-elle de nouvelles perspectives? «Cette piste de réflexion m’a conduit à proposer la réunion des situations cliniques dont l’un des points communs est d’avoir, au cours du temps, été négligées. Voire mises en doute par la science médicale.»
La maison Utopie bénéficie du mécanisme inconnu de l’effet ELIZA. En 1966, le mathématicien Joseph Weizenbaum, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) développe cet ancêtre des programmes conversationnels de l’Intelligence artificielle… «Le programme réagissait à certains mots-clés», explique le scientifique. «Il élaborait ensuite une réponse en reformulant la phrase. À la manière d’un psychothérapeute.»
La vue, un intermédiaire douteux
Les données captées par nos sens nous lient à la réalité… «Accès indirect, biaisé», rétorque le chercheur qui s’appuie sur la vision. «La vue constitue l’intermédiaire privilégié des interactions de la conscience avec l’environnement. Il s’agit cependant d’un intermédiaire douteux.»
Démonstration. À une fréquence de 13 images par seconde, les images reçues par les nerfs optiques sont sélectionnées arbitrairement. Cette succession d’images fixes est ensuite reconditionnée. L’essentiel de la rétine ne détectant pas les couleurs, l’inconscient colorise d’autorité le champ visuel périphérique. Corrige l’absence d’image liée à nos papilles optiques, les ‘taches aveugles’. Supprime les images immobiles du champ visuel. Ne laisse à aucun moment la conscience suspecter que la perception oculaire a été profondément altérée. Cette démonstration concerne aussi les autres sens.
L’inexpliqué, cause de détresse et de honte
Source de perplexité, de suspicion, d’irritation pour les cliniciens, les symptômes inexpliqués causent la détresse. Souvent la honte chez des patients incapables d’intégrer les explications des médecins.
La fréquence de ces troubles est si importante, et le risque qu’elle s’accroisse potentiellement si grand, que cette situation doit changer selon le spécialiste. Les troubles fonctionnels font partie des symptômes médicalement inexpliqués les plus courants. Comme la dépression, la fatigue chronique, les allergies alimentaires, les troubles de concentration ou de mémoire sans origine établie…
«Pour les formes les plus courantes, telles que les troubles neurologiques fonctionnels, des évolutions de mentalité encourageantes font heureusement surface», note Ivan 0. Godfroid.
«Il ne faudrait pas oublier que derrière chaque symptôme inexpliqué se cache un être humain qui souffre. Par absence d’un intérêt suffisant, les techniques de diagnostic et les prises en charge thérapeutiques font la plupart du temps défaut.»