La médecine n’est pas seulement une science. Elle peut aussi soigner par influence. L’ancien doyen de la Faculté de médecine de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) Jean-Louis Vanherweghem le démontre dans «De l’usage du placebo dans l’art de guérir», paru aux éditions EME. Illustré avec humour par Robert Askenasi, spécialiste en médecine d’urgence.
Placebo… Le terme est tiré de la conjugaison latine: «je plairai», «je réussirai». Jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle, cette illusion de médicament faisait partie de l’arsenal thérapeutique. Pour plaire à leurs patients, les médecins les trompaient…
«Cette pratique s’inscrivait parfaitement dans le courant dominant du paternalisme médical», explique le membre de l’Académie royale de médecine . «Il est vrai que l’on trompait le patient. Mais c’était pour son bien. Et seul le médecin avait la science et le pouvoir pour décider de ce qui était bon pour le malade. Au temps où la pensée médicale voguait sous les vents bienveillants du paternalisme, le mensonge, dans un but louable, était non seulement autorisé mais même recommandé».
Des effets indéniables
Depuis la fin du XXe siècle, plus question de tromper le patient. D’appliquer un traitement sans son consentement précédé d’une information complète. Mais la médecine n’a pas pour autant renoncé à l’usage du placebo. Toutes les données scientifiques plaident en faveur de la réalité de son effet.
«L’effet placebo peut survenir dans n’importe quelle intervention clinique: la parole, les gestes, les pilules, les actes techniques et chirurgicaux. Son importance peut être liée à des facteurs personnels comme la croyance dans un résultat positif. En réalité, l’effet placebo est surtout très influencé par les conditions de l’environnement thérapeutique. Il est plus marqué pour les actes techniques, en particulier les actes chirurgicaux. Les injections ont un effet placebo plus marqué que les pilules. Et celles-ci que les suppositoires».
Les pilules… Les grosses seraient plus efficaces. Les plus chères les meilleures. L’emballage influe, comme la couleur bleue des tranquillisants. Le thérapeute vêtu d’une blouse blanche est par lui-même un placebo. Surtout s’il dialogue avec le patient. Rassure. Témoigne de sa confiance dans un traitement.
Les circuits cérébraux sont activés
Lorsqu’il reçoit un placebo à la place d’un médicament actif, le malade met en action les circuits de son cerveau qui sont la cible habituelle de ce médicament. S’il est convaincu qu’il reçoit un traitement destiné à soulager la douleur, il inonde son cerveau avec sa propre morphine.
«Dans un environnement propice, avec les paroles et les gestes qui conviennent, l’administration d’un placebo peut guérir un être humain des symptômes désagréables qu’il présente. Il s’agit d’un événement psychobiologique naturel provoqué par un contexte thérapeutique favorable. Par ce mentir vrai, le praticien de la médecine régulière basée sur les preuves peut ajouter à sa science médicale un art, celui de l’art de guérir… par influence. Il ne s’agit évidemment pas de remplacer des traitements, dont l’efficacité a été démontrée, par des placebos. Il ne s’agit pas d’imaginer guérir un cancer, une infection, une maladie cardio-vasculaire, une maladie dégénérative du système nerveux par des placebos».
Idéal pour tester les médicaments
Le placebo est incontournable pour tester l’efficacité réelle d’un nouveau médicament. Médecins et patients sont «aveugles». Ils ne savent pas qui reçoit le traitement à tester ou le placebo qui a la même apparence, le même goût. Les codes du tirage au sort, at random, sont maintenus dans une enveloppe scellée, ouverte lorsque l’étude est terminée. Un médicament sera jugé efficace uniquement si ses effets se sont montrés supérieurs à ceux du placebo.
Le placebo a son contraire: l’effet nocebo, «je nuirai» en latin. Dans les études randomisées en double aveugle, les effets secondaires d’un médicament sont aussi comparés avec ceux ressentis par les patients qui ont reçu le placebo. Une étude a ainsi relevé qu’avec un remède destiné à traiter la constipation chronique, les symptômes indésirables étaient de même amplitude dans les deux groupes. Une preuve que l’inerte agit en mal tout autant qu’en bien.