Malgré les avancées des sciences, des pratiques superstitieuses alimentent toujours notre quotidien. Les travaux expérimentaux sur ces phénomènes restent marginaux. Les psychologues sociaux Emmanuelle Gardair et Nicolas Roussiau font le point dans «La superstition aujourd’hui», aux éditions De Boeck.
On joue davantage au Lotto un vendredi 13… La loterie a contourné la dimension négative de cette référence au jour de la mort du Christ et au nombre de convives du dernier repas. En Chine, c’est le chiffre 8, se prononçant presque comme les mots richesse ou prospérité, qui porte bonheur. À Shanghai, la tour la plus haute du pays, compte 88 étages. Et a été inaugurée un 8 août…
Des marins, des sportifs, des artistes, des traders
«En psychologie et dans les sciences humaines, la définition de la superstition n’est pas consensuelle», observent Emmanuelle Gardair et Nicolas Roussiau.
«L’avancée des sciences qui promettait un recul des croyances occultes semble même permettre leur essor. La voyance ou la télépathie se pratiquent désormais par Internet… Quand chance et malchance sont des éléments qui comptent dans la réalisation d’un objectif, la superstition est présente. Elle assure plusieurs fonctions dans la société. Comme processus d’adaptation, elle répond à des besoins différents selon les individus et les époques. La superstition peut aussi permettre aux groupes sociaux minoritaires d’avoir une impression de contrôle sur un environnement qui leur échappe. Certains psychologues expliquent la superstition par des restes de pensée enfantine et l’expression d’une recherche de toute-puissance.»
Les croyances superstitieuses se développent dans des milieux professionnels où l’insécurité est importante. Chez les marins, toute embarcation doit être baptisée pour éloigner les dangers. Prophétie de mauvais augure en 2006: le traditionnel magnum de champagne ne s’était pas brisé sur la coque du Costa Concordia. Et le paquebot a fait naufrage après avoir appareillé un vendredi 13. Jour vivement déconseillé.
Des sportifs se signent. Portent grigris et amulettes pour faire gagner leur équipe. Et ça marche! Des recherches montrent qu’avoir son porte-bonheur sur soi améliore les performances quand on est superstitieux. Des pratiques se développent aussi chez les artistes: l’échec d’une seule prestation peut ruiner une carrière. La couleur verte est souvent considérée comme maléfique dans le monde du spectacle. Cette croyance viendrait de l’époque où les éclairages de scène ne faisaient pas ressortir le vert des décors ou des costumes.
Au casino, les joueurs dépendants endossent plus de croyances superstitieuses. La Bourse n’y échappe pas. Des traders utilisent un type de crayon particulier. Bannissent le stylo rouge, symbole de perte. Dans le domaine de la santé, des comportements aberrants s’observent aussi. Quand la contagion se propage, des populations qui recourent habituellement à des explications rationnelles adoptent des réflexes superstitieux. À partir d’un certain seuil de risque, la crainte d’être concerné par la contamination éveillerait le doute, l’anxiété. Et balaierait la rationalité scientifique.
Les jeunes sont plus sensibles que leurs aînés
Des recherches montrent que les jeunes adultes peuvent être plus sensibles à la superstition que leurs aînés qui font plus souvent appel à leur esprit critique. Cet effet de l’âge se retrouve notamment par l’attrait pour les croyances pseudo-scientifiques, astrologie, horoscope, voyance. Des études, aux résultats controversés, mettent en évidence la tendance des femmes à être plus crédules. Cette différence pourrait s’expliquer par des pratiques éducatives et une réaction aux inégalités subies. Les femmes de la vie active, plus indépendantes et se gérant financièrement, sont moins superstitieuses.
«Il ne faut pas négliger l’impact des circonstances économiques et personnelles plus ou moins difficiles traversées par les individus», soulignent les psychologues. «Ainsi le fait d’être au chômage, divorcé ou séparé peut favoriser le recours aux croyances superstitieuses. Ces dernières représentent alors un moyen de maîtriser des événements, qui en réalité ne relèvent pas uniquement de la volonté des individus.»