Les médecins ne peuvent pas faire repousser un bras manquant. Ils disposent par contre de médicaments puissants pour aider une personne amputée à surmonter la douleur que ce « membre fantôme » engendre dans 60 à 80 % des cas.
« Dans le jargon, on parle de douleurs neuropathiques », explique Dominique Mouraux, Assistant chargé d’exercice en kiné du sport à l’Université Libre de Bruxelles. « Il en existe de diverses sortes et de diverses origines. Malgré la kiné et les médicaments, ces douleurs restent difficiles à traiter ».
D’où l’idée du thérapeute attaché au Centre de Réadaptation de l’Appareil Locomoteur (CRAL) de l’Hôpital Erasme d’avoir recours à la technique dite de l’effet miroir pour soulager certains de ses patients.
Un effet miroir qui agit sur la plasticité du cerveau
« L’effet miroir est une technique qui permet au patient de visualiser son bras manquant dans un miroir en jouant sur l’image du bras valide », explique Dominique Mouraux. « Cela a un impact sur la plasticité du cerveau qui modifie ses connexions en fonction de ces images. Dans certains cas, cela permet d’atténuer la douleur ».
Si a priori un simple miroir suffit, le recours à la réalité virtuelle augmentée permet un plus large champ d’applications. C’est sur ce type d’outil que travaille le kinésithérapeute en collaboration avec le Dr Benoît Penelle, ingénieur des laboratoires “LISA” (Laboratories of Image, Signal processing and Acoustics), à la Faculté Polytechnique de l’ULB.
Le patient est filmé de face par un système de caméras 3D. Cette image est restituée sur écran et complétée. Le membre manquant est reconstruit virtuellement. La technologie, développée avec le concours du LISA, le laboratoire, permet des exercices plus subtils, plus complexes, que ceux possibles avec un simple miroir. Comme déplacer un objet à l’écran par exemple.
La réalité virtuelle augmentée (« augmentée » parce que c’est la véritable image du patient qui est utilisée et reproduite à l’écran pour simuler le membre manquant) présente plusieurs avantages aux yeux des spécialistes de l’ULB :
- – Le recours au jeu fait baisser le niveau d’anxiété du patient
- – Le membre virtuel a un aspect plus naturel.
- – Le patient est davantage immergé dans un univers virtuel, donc plus réceptif, plus concentré sur la tâche à accomplir.
- – Le système, basé sur une console de jeu disponible à prix modéré dans le commerce est accessible financièrement et relativement simple à mettre en place, y compris au domicile du patient.
Les bons résultats de la première étude
Les résultats engrangés par l’équipe lors d’une première étude réalisée en 2012 sur quelques patients sont prometteurs. Menée en collaboration avec les médecins de la Clinique de la douleur à l’hôpital Erasme, elle montre qu’après une séance d’exercice, l’intensité de la douleur a diminué de 28 %. Il s’agit d’une moyenne et elle ne concerne que les personnes réceptives. Comme pour les médicaments destinés à maîtriser la douleur, cela ne marche pas à tous les coups ni chez tous les patients.
« Après six séances, l’effet analgésique perdurait plus longtemps et était amplifié », explique Dominique Mouraux. L’intensité de la douleur était ainsi réduite de 50%. « Après 12 semaines d’exercices, deux patients avaient même retrouvé une qualité de vie exempte de douleur », précise le kinésithérapeute.
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Ces bons résultats ont été confirmés par une étude menée en 2014 sur 22 patients. Les chiffres précis de cette nouvelle étude doivent encore être publiés dans un journal scientifique. Mais assurément, ils confortent les chercheurs dans leur démarche.
L’équipe de l’ULB veut désormais développer un système encore plus sophistiqué et qui par la même occasion devrait être d’autant plus efficace. « Nous aimerions que les patients puissent apprendre à saisir un objet en 3D à l’écran et à le manipuler avec leur membre virtuel », souligne le Dr Pennelle. « Histoire de se rapprocher encore un peu plus de la fonctionnalité de la main. Mais nous souhaitons aussi développer une nouvelle connectivité pour cette application, de sorte que les résultats des exercices réalisés par le patient à domicile puissent être suivis à distance par l’équipe médicale ».
Autre évolution du système : le casque virtuel. Il a remplacé l’écran d’ordinateur pour la pratique des exercices. « Quand le patient se concentre sur l’image 3D sans voir son membre valide réel bouger, cela améliore le traitement », estime Dominique Mouraux.
Un projet de spin-off
Le but de l’équipe est aujourd’hui de tester et de proposer son système amélioré au plus grand nombre possible de patients souffrant de certaines douleurs neuropathiques. Il s’agit des personnes amputées, celles frappées du syndrome régional complexe ou encore des patients présentant un problème au canal carpien, ceux disposant d’une prothèse totale du genou ou encore ceux souffrant de douleur post-opératoires. Après l’ablation d’une tumeur par exemple.
Le projet de l’équipe est de faire appel à l’initiative “Launch – Brussels Spin-off 2015”, proposé par Innoviris, l’Institut Bruxellois pour la Recherche et l’Innovation.
Ce soutien régional nous permettrait de valider notre système et de valoriser ces résultats à travers un spin-off, estiment Dominique Mouraux et Benoît Penelle, épaulés dans ce projet par Martin Teller, chargé des aspects économiques du projet.
« Au final, pour les patients et leurs médecins, notre outil de réalité virtuelle augmentée devrait permettre de mieux maitriser certaines douleurs tout en diminuant les doses de médicaments à ingérer chaque jour ».
La réalité virtuelle, une réalité actuelle à Bruxelles
L’innovation dans la Région de Bruxelles-Capitale passe notamment par les clusters thématiques d’impulse.brussels (l’ex « Agence bruxelloise pour l’Entreprise). En ce qui concerne la réalité virtuelle, trois de ces clusters sont aux premières loges : software.brussels, screen.brussels et lifetech.brussels. Ces partenaires publics aident les (candidats) entrepreneurs dans la création de leur entreprise, les aides publiques, les réglementations, etc. Les sciences de la vie, les technologies de l’information et de la communication les médias sont des domaines importants à Bruxelles.