Le tépui Wei Assipu, une montagne tabulaire du Plateau des Guyanes, dépasse les 2.000 mètres d'altitude. © Philippe Kok
Le tépui Wei Assipu, une montagne tabulaire du Plateau des Guyanes, dépasse les 2.000 mètres d'altitude. © Philippe Kok

Surprise au sommet du tépui

28 janvier 2015
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

Podoxymys roraimae, une petite souris quasi inconnue a été « re-découverte » par l’herpétologue belge Philippe Kok au sommet d’un tépui, en Amérique du Sud.

 

Les tépuis sont ces montagnes tabulaires quasi inaccessibles situées sur le Plateau des Guyanes, au sud du Venezuela, du centre-ouest du Guyana et du nord du Brésil. Ces reliefs s’élèvent abruptement au-dessus des savanes et des forêts tropicales. Ils hébergent une biodiversité peu connue. C’est le terrain de chasse (scientifique!) de prédilection du Dr Kok.

 

Septième observation depuis 1927

 

C’est là également, à plus de 2000 mètres d’altitude, qu’il a fait une étonnante rencontre pour ce spécialiste des amphibiens: un petit mammifère quasi inconnu. « Il s’agit d’une souris appelée Roraima (Podoxymys roraimae) », explique-t-il. Une souris qui jusque-là n’avait été observée qu’à six reprises depuis 1927 et sur un même tépui voisin : le tépui Roraima.

 

La souris Podoxymys roraimae est de petite taille, présente une queue et des oreilles courtes mais de longues griffes. © Philippe Kok
La souris Podoxymys roraimae est de petite taille, présente une queue et des oreilles courtes mais de longues griffes. © Philippe Kok

 

Il précise les circonstances de cette découverte. « Lors d’une expédition en 2009, la nuit, sous tente, on entendait régulièrement des rongeurs s’aventure sur le camp. Bien entendu, dès qu’on quittait notre abri, ils disparaissaient. Un matin, nous sommes tombés sur un de ces rongeurs et nous l’avons attrapé”.

 

« J’ai immédiatement su que cette « découverte » pouvait avoir une certaine valeur », reprend le collaborateur scientifique de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique. « Mais l’animal est mort dans les heures qui suivirent. Sans doute était-il malade, ce qui explique la relative facilité avec laquelle nous avons pu le capturer ».

 

Une aire de distribution élargie

 

L’équipe belgo-brésilienne a alors prélevé un morceau de tissu du petit mammifère, un fragment de muscle. Ce qui a permis des études génétiques. Ces analyses montrent aujourd’hui que l’animal serait apparenté à certaines souris vivant sur le Plateau brésilien, plutôt que dans les Andes ou les proches forêts amazoniennes de basse altitude.

 

La découverte révèle aussi que l’aire de distribution de Roraima ne se limite pas au seul tépui « Mont Roraima », lieu des six premières observations du rongeur. Dans le cas présent, la découverte de Philippe Kok et de ses collègues a eu lieu au tépui Wei-Assipu, à la frontière du Guyana et du Brésil.

 

Localisation du Plateau des Guyanes (cliquez pour agrandir).
Localisation du Plateau des Guyanes (cliquez pour agrandir).

 

Pour essayer de déterminer les « affinités évolutives » de ce petit animal, Philippe Kok et son collègue Yuri Leite, de l’Universidade Federal do Espírito Santo, dans le sud-est du Brésil, se sont associés à Marcelo Weksler, professeur de zoologie à l’Universidade Federal do Estado do Rio de Janeiro et collaborateur scientifique au Museu Nacional du Brésil. Ils ont obtenu les premières séquences d’ADN de la souris Roraima et les ont comparées avec celles d’autres rats et souris d’Amérique du Sud.

 

La génétique révèle des liens géographiques improbables

 

Les résultats montrent que les plus proches espèces sont Thalpomys et Necromys, deux taxons découverts dans des milieux à végétation ouverte, notamment le Cerrado, une région de savanes sur le Plateau brésilien. « C’est vraiment surprenant de découvrir que les espèces les plus proches de cette petite souris actuellement restreinte au sommet de deux tepuis très isolés vivent dans une région située à des milliers de kilomètres de là », indique Philippe Kok.

 

Ces résultats ne sont pas conformes aux théories actuelles sur la façon dont la faune des tepuis a évolué : les scientifiques pensent que les petits mammifères descendent soit de populations provenant des Andes qui se sont dispersées sur de longues distances, soit d’invasions depuis les hautes terres et les plaines environnant les tepuis.

 

Les analyses génétiques montrent que la connexion entre le Plateau des Guyanes et le Plateau brésilien – suggérée par le nouveau scénario de Philippe Kok et ses collègues – s’est produite il y a au moins 2,47 millions d’années. « Comment le Plateau brésilien et les tepuis du Plateau des Guyanes ont-ils été connectés au Pliocène supérieur ? Peut-être étaient-ils reliés par des corridors écologiques ? Ou la distribution de leurs ancêtres a-t-elle été subitement divisée par un événement géologique ou climatologique ? Cela reste à expliquer… », dit encore l’herpétologue.

 

Les tépuis, des massifs peu connus à la biodiversité menacée

 

Les tépuis sont des massifs difficiles d’accès et très peu peuplés. Pour les naturalistes, ils constituent des terrains de recherche de premier ordre. Philippe Kok les fréquente depuis plus de dix ans et il y a déjà réalisé quelques belles découvertes.

 

« Ce qui me chagrine, dit-il, c’est que la biodiversité des tepuis est menacée par les changements climatiques. Des espèces qu’on ne connaît pas encore sont condamnées, et personne ne s’en rend compte ».

 

Dès le mois de mai, le scientifique, actuellement en post-doctorat à la VUB, repartira en expédition au sommet de ces massifs exceptionnels avec un étudiant pour y récolter de nouveaux spécimens de reptiles et de batraciens, et qui sait, peut-être aussi de rongeurs?

 

 

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