Dans l’Union européenne, il y aurait 25.000 décès et 2.500.000 journées d’hospitalisation en moins si les bactéries ne déjouaient pas les pièges tendus par les antibiotiques. Jean-Marie Frère, professeur émérite à l’Université de Liège (ULg), relaie l’inquiétude des experts dans «La résistance des bactéries aux antibiotiques», aux éditions de l’Académie royale de Belgique, collection L’ Académie en poche. Le chimiste-biochimiste démontre l’ingéniosité de ces unicellulaires de quelques microns. Il propose aussi des solutions pour limiter les dégâts.
«Il est inquiétant de constater que les organismes de financement de la recherche scientifique aient quelque peu oublié la bactériologie au profit d’autres domaines plus à la mode et que l’industrie pharmaceutique ait très peu investi dans la recherche de nouveaux agents antibactériens au cours des 20 dernières années», relève le chercheur qui a étudié pendant plus de 40 ans la résistance des bactéries aux antibiotiques de la famille des bêta-lactames: les pénicillines, céphalosporines et composés apparentés.
L’OMS lance un cri d’alarme
En 2014, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) (www.who.int/fr) a établi un bilan inquiétant et a lancé un cri d’alarme. Le rapport signale notamment qu’une grande proportion des souches responsables d’infections des voies urinaires, du système sanguin et de pneumonies résiste aux céphalosporines de 3e génération qui doivent être remplacées par des carbapénèmes, des antibiotiques de dernier recours plus coûteux, moins accessibles dans les pays pauvres. Il épingle aussi la résistance à la pénicilline de la bactérie provoquant des méningites. Et l’apparition croissante de souches multirésistantes de la bactérie causant la tuberculose.
Aux États-Unis, le Center for Disease Control and Prevention (CDC) a aussi manifesté une grande inquiétude. Le président Obama a proposé que le budget fédéral de 2016 réserve 1,2 milliard de dollars à la recherche sur la résistance aux agents antibactériens. Le Royaume-Uni est attentif au problème. En décembre 2014, le rapport préliminaire de la commission O’Neill prédit que, si rien n’est fait, l’augmentation de la résistance conduirait à plus de 10 millions de décès prématurés par an.
L’Union européenne… «Dans le cadre de l’IMI, Innovation Medecine Initiative, l’UE projette de relancer la recherche dans le domaine des antibiotiques en favorisant une collaboration entre les milieux académiques et les entreprises pharmaceutiques», note le membre de la Classe des sciences de l’Académie royale de Belgique. «Parallèlement, l’UE a lancé un autre programme international, JPIAMR, Joint Program Initiative on Anti Microbial Resistance. Mais, alors que la commission O’Neill en Angleterre suggère une augmentation drastique des moyens, le financement dans le cadre de ce programme européen est largement insuffisant, voire ridicule au regard des enjeux. Une somme de 7,1 millions d’euros est engagée pour 8 pays participant à des projets pouvant durer 2 ou 3 ans. Quand on sait que la dernière campagne Télévie a, pour la seule Belgique francophone, engrangé plus de 9,5 millions d’euros, on reste rêveur.»
La recherche fondamentale est indispensable
Pour limiter les dégâts des bactéries pathogènes, il faudrait favoriser ou imposer un usage plus rationnel des molécules connues. Particulièrement en production animale où elles sont très souvent utilisées à titre préventif, thérapeutique ou de promoteurs de croissance. L’ajout à la nourriture du bétail est interdit dans l’UE. Mais pas dans beaucoup de pays. Aux États-Unis, l’influence des éleveurs et des firmes pharmaceutiques a étouffé les tentatives de régulation dans le secteur de l’élevage qui absorbe jusqu’à 80% des ventes d’antibiotiques.
Comme l’utilisation des antibiotiques à large spectre favorise la sélection de souches résistantes, il faudrait encourager la recherche de nouvelles molécules. Et la mise au point de méthodes pour attaquer l’agent infectieux de manière plus ciblée.
«Il est indispensable de développer la recherche fondamentale dans les domaines de la physiologie et de la biochimie bactérienne», souligne Jean-Marie Frère. «Aussi bien pour élucider les mécanismes de la pathogénicité que pour exploiter les remarquables possibilités qu’offre le métabolisme secondaire des espèces actuellement connues et inconnues.»
(Note: A pointer encore, une autre initiative européenne: le prix Horizon pour un meilleur usage des antibiotiques. Doté d’un million d’euros, ce prix récompensera la personne ou l’équipe qui mettra au point un test rapide permettant aux médecins de savoir si une infection peut être traitée avec des antibiotiques ou non. De quoi promouvoir un meilleur usage de ces médicaments et de lutter contre la résistance microbienne aux antibiotiques. Note ajoutée le 27 août 2015).