Ben Feringa est un « mécanicien » d’un genre nouveau. Il construit des voitures qui ne circuleront jamais sur nos routes. Il développe de minuscules systèmes intelligents capables de s’activer à la demande. Il s’intéresse aussi au confort des patients qui sont traités par chimiothérapie.
Un artiste hétéroclite? Le Pr Feringa est surtout un scientifique. Il est même un des chimistes les plus en vue du moment. Et la qualité de ses travaux, menés à l’Université de Groningen, aux Pays-Bas, n’a pas échappé au jury du « Prix Solvay ». Mercredi, à Bruxelles, le Pr Ben Feringa a reçu le prix 2015 « pour la Chimie du Futur » des mains de la Reine Mathilde (300.000 euros).
« Mes travaux portent sur les moteurs moléculaires et les multiples applications que cette technologie pourrait un jour générer », a-t-il expliqué, avant d’en donner quelques exemples et de retracer les progrès enregistrés dans son laboratoire de recherches sur les systèmes moléculaires fonctionnels.
Des systèmes actionnés par la lumière
Ces quinze dernières années, ce chimiste et ses étudiants ont été à l’origine de nombreux progrès dans le domaine de la chimie organique synthétique. Il a fabriqué des moteurs rotatifs composés de quelques groupes d’atomes, des interrupteurs moléculaires qui sont actionnés par la lumière, des systèmes capables de transporter diverses molécules utiles, dans une direction bien précise.
« Nos premiers moteurs étaient plutôt lents », se rappelle le chercheur. « Ils effectuaient une rotation par heure. Mais mes étudiants ont bien travaillé, sourit-il. Aujourd’hui, nous avons des systèmes capables de tourner 10 millions de fois sur eux-mêmes par seconde ».
Ses travaux, réalisés à l’échelle nanométrique (le milliardième de mètre), ont mené au dépôt d’une trentaine de brevets. Ces découvertes pourraient déboucher un jour sur la mise au point de nouveaux types de médicaments. « Des médicaments véhiculés à l’endroit exact où ils doivent être activés », précise le chercheur.
Découvrez ici quelques images de la voiture moléculaire du Pr Feringa
Moins d’effets secondaires lors d’une chimiothérapie
« Mes robots nanomoléculaires pourraient ainsi délivrer un antibiotique à proximité immédiate de la bactérie à éliminer. La molécule utile est alors activée par un signal lumineux, infrarouge ou laser par exemple. Quand il quitte la zone à traiter, l’antibiotique peut alors être désactivé de la même manière. Résultat: il ne se retrouve pas ensuite dans la nature. Il ne génère pas de résistance supplémentaire aux antibiotiques ».
Autre application possible: le traitement du cancer. Dans le cas d’une chimiothérapie, le même principe peut-être mis en oeuvre. « Le médicament pourrait alors être activé à son arrivée au coeur de la tumeur », précise-t-il. « Ce qui limiterait sensiblement les effets secondaires de ce type de traitement ».
Les voitures moléculaires du Pr Feringa sont promises à un bel avenir. Le Prix qu’il vient d’empocher devrait lui permettre de donner un nouveau coup d’accélérateur à ses travaux. Des travaux qui un jour devraient également intéresser l’industrie. Même si à Bruxelles, les dirigeants de Solvay rappelaient volontiers que ce Prix pour la chimie du futur est strictement scientifique.
Une procédure digne des « Nobel »
Le prix Solvay pour la Chimie du Futur attribué cette année au Pr Feringa suivant une procédure en deux temps qui n’est pas sans rappeler la procédure utilisée par le Comité Nobel.
Dans un premier temps, le jury a demandé à quelque 180 scientifiques de renom dans le monde de lui soumettre une liste de candidats potentiels.
Sur base de cette liste, diverses sélections ont été effectuées. En septembre, le jury, au sein duquel siègent deux lauréats de Prix Nobel, a arrêté son choix définitif. Un choix dicté par l’esprit même du prix: récompenser une découverte scientifique majeure, susceptible de contribuer à bâtir la chimie de demain tout en favorisant le progrès humain.