Ce n’est peut-être pas « le » remède miracle mais la neuromodulation pourrait bien s’imposer comme une arme de choix pour lutter contre la migraine. Cette méthode non médicamenteuse devrait même connaître un regain d’intérêt grâce à une innovation technologique liégeoise testée et validée par deux études cliniques récentes.
Cette innovation technologique prend la forme d’une sorte de « paire de lunettes » à déposer non pas sur son nez, mais bien un peu plus haut, sur le front, comme un serre-tête.
« La neuromodulation consiste à stimuler certaines aires cérébrales pour accroître ou diminuer leur activité », explique le Dr Jean Schoenen, professeur en neurosciences à l’Université de Liège. « Souvent, les migraineux ont un cerveau qui travaille trop intensément. En ralentissant ou en prévenant cette activité, on évite la crise ».
Stimulation transcrânienne
Pour tenter d’éviter ou de limiter un épisode migraineux, le patient qui ne veut pas prendre d’anti-douleurs ou d’anti-inflammatoires peut agir lui même sur son cerveau par le biais des thérapies cognitivo-comportementales comme l’hypnose, la relaxation ou la méditation. Mais l’activité du cerveau peut aussi être modulée par diverses techniques externes non invasives. Ces techniques stimulent le cerveau à travers le crâne ou via les nerfs périphériques.
« En ce qui concerne la stimulation transcrânienne, on peut agir sur certaines aires cérébrales avec un courant électrique », précise le Dr Schoenen. « Celui-ci est diffusé par des électrodes placées sur le cuir chevelu. L’autre possibilité est la stimulation magnétique générée par des bobines. Ces stimuli répétés modifient l’activité de la zone du cortex cérébral sur laquelle on agit. Plusieurs études ont montré l’intérêt potentiel de ces techniques pour lutter contre la migraine ».
Se méfier de l’effet placebo
La pertinence de ces techniques demande encore à être confirmée. «Dans les migraines, l’effet placebo a une efficacité de 20 à 30%. Il faut encore vérifier si ces modes de neuromodulation transcânienne dépassent le seuil des 30% », prévient le spécialiste.
Aujourd’hui, ces appareils ne sont donc pas encore commercialisés. Ils ne font l’objet que de tests en milieux hospitaliers : au CHU du Sart-Tilman par exemple où des compléments de recherche sont en cours.
De même, la durée optimale du traitement n’est pas encore identifiée avec précision. Dans les études actuelles, la stimulation se fait durant deux à trois mois. « Si vous faites pendant cinq jours une stimulation magnétique transcrânienne sur une zone du cortex cérébral vous pouvez modifier l’activité de cette zone durant 1 à 9 semaines », explique le Pr Schoenen. « Cela varie d’un individu à l’autre ».
Un courant électrique sur le front
C’est ici que la nouveauté liégeoise entre en scène. Cette troisième technique fait appel à un appareil développé par une PME de Herstal (Liège) qui vient de recevoir son autorisation de commercialisation aux Etats-Unis comme moyen de prévention et de traitement des migraines.
Cet outil, (baptisé « Cephaly »), ressemble à un serre-tête à l’allure futuriste qui se place en travers du front. Sa particularité : il ne stimule pas directement le cerveau mais bien les nerfs périphériques qui se trouvent juste sous la peau.
Le courant électrique qu’il diffuse arrive donc dans le cerveau via les terminaisons du nerf trijumeau. « Nous espérons montrer que cela modifie l’activité de certaines aires cérébrales qui sont impliquées dans la douleur et la migraine. Mais notre étude n’est pas encore terminée », précise le Pr Schoenen.
Deux études belges encourageantes
Deux études préliminaires ont toutefois déjà montré l’intérêt de cette invention développée avec l’aide la Région Wallonne (SPW DGO6). La première a été publiée en février 2013 dans la revue « Neurology », éditée par l’Académie américaine de neurologie. Elle portait sur un échantillon de 67 volontaires belges.
La seconde étude, publiée en décembre dernier dans le « Journal of Headache and Pain », a concerné 2313 utilisateurs belges et français du Cephaly
Elle montre que dans 54 % des cas, le dispositif a apporté un réel soulagement aux patients. Chez les personnes déçues par le système, il apparaît que souvent, le « serre-tête électrique » en question n’avait pas été utilisé suivant les recommandations prescrites : c’est-à-dire une application quotidienne d’une vingtaine de minutes.
Traiter la douleur et sa cause
Pour le Dr Schoenen, impliqué dans ces deux études, il reste à démontrer quelle technique (stimulation à travers le crâne ou via les nerfs périphériques) est la plus efficace. « Le traitement n’est pas le même », estime-t-il. « Quand vous stimulez un nerf périphérique, vous allez cibler de façon totalement aspécifique des aires du cerveau qui n’ont pas forcément à voir avec les zones impliquées dans la migraine. Vous modifiez l’activité de centres généraux qui sont notamment impliqués dans le contrôle de la douleur ».
Mais la douleur n’est qu’un symptôme. « Avec le Cephaly, on ne traite pas la cause tandis qu’avec les stimulations transcrâniennes, on essaye de modifier l’activité cérébrale qui est responsable de l’apparition de la douleur », précise le médecin. « Les deux techniques pourraient donc être complémentaires. C’est notre hypothèse de travail mais elle reste à prouver ».
Si cela fonctionne, on pourrait imaginer un appareil qui stimule les deux niveaux à la fois: le cerveau et les nerfs périphériques, soit la douleur et ce qui la provoque.
Pas d’effets secondaires importants
L’avantage est que, contrairement aux médicaments, ces techniques ne provoquent pas d’effets secondaires. Elles peuvent donc être proposées en alternative aux traitements médicamenteux ou en combinaison avec ceux-ci.
Notons encore que toutes ces techniques sont préventives: « Il n’y a aujourd’hui pas de traitement curatif de la migraine. « Et il n’y en aura pas au cours de ce siècle», prédit le Pr Jean Schoenen. « La migraine est en effet une maladie génétique : il y a toute une série de gènes qui créent ce qu’on appelle un seuil migraineux ».
Ce seuil à partir duquel se déclenchent des maux de tête est plus bas chez les migraineux que chez les autres. Cela les rend plus sensibles à la lumière, au bruit ou aux variations hormonales… «Avec les traitements, on essaye de relever ce seuil migraineux », indique encore le Pr Schoenen.
Et le phénomène est loin d’être confidentiel. En Belgique, la prévalence de la migraine est de 20,2 %. Elle est environ trois fois plus élevée chez les femmes (32 %) que chez les hommes (9,5 %), selon le Centre belge d’information pharmacothérapeutique.