Chercheuse qualifiée F.R.S.-FNRS au Earth and Life Institute, Centre de Recherches sur la Terre et le Climat Georges Lemaître, Université Catholique de Louvain.
CARTE BLANCHE
On a rarement parlé autant du climat qu’actuellement. A Paris, lors du COP21 (21ème Conférence des Parties de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques), des décisions importantes ont été prises en vue de limiter, d’ici la fin du 21e siècle, le réchauffement global planétaire à 2°C (voire 1,5°C) par rapport à l’époque pré-industrielle (les années 1850).
Mais surtout le réchauffement global s’affirme de plus en plus. 2015 a battu tous les records de température et la concentration en CO2 dans l’air y a dépassé, pour la première fois, les 400 parties par millions en volume (0,04 %). L’augmentation de cette concentration due aux activités humaines (plus de 100 ppmv au cours des 200 dernières années) s’est faite à une vitesse 100 fois plus rapide que naturellement, étant effectivement passée de 180 ppmv au dernier maximum glaciaire il y a 20,000 ans à 280 ppmv au début de la Révolution Industrielle.
Cette année 2015 a été la plus chaude de toute la période pour laquelle des observations fiables existent. Elle a aussi très probablement été la plus chaude du dernier millénaire. La température annuelle globale moyenne de l’air à la surface de la Terre a été en effet 0,87°C plus élevée que la moyenne classique de 30 ans calculée entre 1951 et 1980 et 1,13°C plus chaude que la moyenne de 1880 à 1920.
Cette année met ainsi fin au ralentissement du réchauffement global qui a prévalu lors de la première décennie du 21ème siècle. Ce ralentissement fut illustré par un taux de réchauffement entre 2002 et 2014 significativement moindre que celui des décennies précédentes.
Les cinq années les plus chaudes ont été enregistrées au cours de la dernière décennie
De multiples explications ont été proposées: l’énergie non utilisée pour chauffer l’air peut avoir été absorbée par l’océan ou utilisée pour fondre les glaces. L’explication d’une diminution de l’activité solaire et/ou des émissions de CFC et autre méthane a également été proposée. Ou encore celle d’une d’une activité volcanique accrue (e.g. Berger et al., 2015). Il n’en demeure pas moins que les 5 années les plus chaudes appartiennent toutes au 21ème siècle. En ordre décroissant, on a 2015 (avec une anomalie de 0,87°C), 2014 (0,74), 2005 (0,69), 2007 (0,66), et 2013 (0,65). Malgré une variabilité interannuelle non négligeable, on doit donc bien admettre que le réchauffement global a atteint à présent le fatidique degré Celsius au-dessus de la température pré-industrielle.
Ce réchauffement a été amplifié par un El Nino exceptionnel similaire à l’El Nino du siècle qui a prévalu en 1997-1998 et avait, en son temps, fait de 1998 l’année la plus chaude du siècle avec 0,63°C au-dessus de la moyenne de 1951-1980.
Un élément supplémentaire des plus importants est lié aux températures hivernales exceptionnelles qui ont accompagné 2015. La température moyenne de novembre-décembre (avec une anomalie de 1,085°C) y a dépassé de 1,35°C la moyenne de 1880 à1920, et celle de juin-juillet (avec une anomalie de 0,76°C) de 1°C.
Le graphique ci-dessous montre qu’en 2015 le réchauffement annuel, mais surtout hivernal, a été bien plus important qu’en 1880, 1940 et 2000 par exemple.
L’analyse des climats du passé de la Terre s’avère indispensable
Les données de la période instrumentale, bien que nombreuses et fiables, n’offrent guère la possibilité d’y trouver des situations similaires à ce que le GIEC prévoit pour la fin du 21ème siècle. C’est une des raisons pour laquelle l’analyse des climats du passé de la Terre s’avère indispensable.
La recherche d’analogues parmi les climats interglaciaires du dernier million d’années (Yin et Berger, 2015) nous a permis de souligner le rôle majeur joué par les températures hivernales dans l’explication de tels climats chauds. Nos simulations ont confirmé que les cinq interglaciaires récents (caractéristiques des 430,000 dernières années) étaient effectivement plus chauds que ceux d’avant cette époque et ce, principalement à cause des températures élevées de leurs hivers dans l’Hémisphère Nord (Yin et Berger, 2010).
Les hivers sont, en effet, sensibles aux perturbations diverses, autant naturelles (par exemple les variations astronomiques d’énergie solaire) qu’anthropiques (comme les variations de la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre). Cela est dû à l’amplification polaire liée au pouvoir réfléchissant de la neige et des glaces en hiver (Manabe et Stouffer, 1980) et/ou à l’effet rémanent des étés dont l’énergie excédentaire est stockée dans les océans polaires et relâchée en fin d’automne et en hiver (Yin et Berger, 2012).
Au moment où le financement de la recherche fondamentale devient de plus en plus difficile à obtenir, l’hiver exceptionnel qui caractérise l’année la plus chaude du siècle et ce, en conformité avec les résultats d’une étude théorique des climats du passé de la Terre, souligne toute l’importance de poursuivre de telles investigations pour mieux comprendre le devenir de notre climat.