Cultivées dans le but d’obtenir des perles de qualité, les huîtres perlières ne suscitent pas uniquement l’intérêt des hommes… Elles ont un autre admirateur : l’Onuxodon, un petit poisson des récifs coralliens de Polynésie Française qui y a élu domicile !
Mais pour quelle raison y habiter ? L’huître répond-elle à une contrainte de reproduction ? D’alimentation ? C’est précisément ces interrogations qui ont poussé le Dr Loïc Kéver et le Dr Eric Parmentier , du Laboratoire de Morphologie Fonctionnelle et Evolutive de l’Université de Liège (ULg) à s’y intéresser.
Une espèce qui a de la voix
Sa cohabitation avec les huîtres n’est pas la seule caractéristique qui a éveillé l’attention des chercheurs liégeois ! Cette espèce est également connue pour sa capacité à émettre des sons . D’ailleurs, dès que les chercheurs ont réussi – non sans mal – à obtenir des spécimens d’huîtres abritant des Onuxodon, ils les ont mises sur écoute !
« Avant de parvenir à ramener des huîtres infestées en laboratoire, nous avons tâtonné. Les premiers poissons ramenés n’ont pas survécu au changement rapide de pression entre les fonds marins et la surface. Notre premier défi a été de trouver une manière pour les ramener en douceur. Pour ce faire, toutes les huîtres étaient placées, en fin de plongée, dans un filet relié au bateau par une corde. Le filet était alors remonté mètre par mètre – pour un temps de remontée 30min environ – jusqu’au bateau. Une fois cette technique trouvée, nous les avons placées dans des aquariums équipés de micros résistants à l’eau », explique Loïc Kéver.
L’Onuxodon, un oiseau de nuit ?
Au cours de ses premières expériences, Loïc Kéver reste bredouille : il ne parvient à enregistrer aucun son. Il a beau ruser et les pousser à bouger pour observer leur réaction, rien !
Ce n’est que lorsqu’il décide de laisser les micros branchés toute la nuit que les poissons ont fait entendre leur voix.
« C’est au crépuscule lorsque j’avais quitté la pièce que j’ai enfin réussi à enregistrer leurs cris. Une observation qui nous permet de dresser l’hypothèse selon laquelle cette espèce de poisson aurait une activité principalement nocturne comme c’est le cas chez d’autres espèces de la même famille. Des sons qui pourraient en fait être émis pour attirer des partenaires sexuels. L’accouplement à la faveur du crépuscule produit des œufs qui pourront, par le jeu des courants, gagner l’océan en étant davantage protégé des prédateurs chassant à vue ».
L’observation de ces sons permet également de confirmer des observations morphologiques précédemment réalisées par Eric Parmentier.
«J’avais constaté la présence d’une structure osseuse particulièrement développée chez les Onuxodons mâles. Appelée rocker bone , cette structure est située à l’avant de la vessie natatoire et vient frapper celle-ci lorsque le poisson contracte et relâche certains muscles. Lors de mes observations, j’avais alors supposé que cette structure servait à émettre des sons ».
L’huître caisse de résonnance
Si la piste de l’émission de sons dans le but de se reproduire semble se confirmer, il est un autre aspect relevé par les chercheurs liégeois qui mérite d’être souligné.
Ces derniers ont, en effet, envoyé des coquilles d’huîtres au Dr Marco Lugli, un chercheur italien travaillant dans le département de neuroscience de l’Université de Parme.
« Ce chercheur a placé au sein de ces coquilles un diffuseur émettant des sons blancs, c’est-à-dire des sons émettant différentes fréquences à la même intensité, afin de déterminer si certaines fréquences pouvaient être amplifiées par la coquille de ces huîtres».
Et là, surprise : ce sont les fréquences des sons émis par les poissons qui peuvent être le mieux amplifiées. On peut donc supposer que l’Onuxodon se sert de l’huître comme d’une caisse de résonance pour augmenter la distance à laquelle il peut se faire entendre et ainsi augmenter la possibilité de se faire repérer par un partenaire.
« Nous ne pouvons malheureusement pas corroborer ces observations acoustiques par des observations visuelles. Premièrement parce qu’il fait très sombre au moment où les sons sont émis. Et deuxièmement, parce que les supposés accouplements ont lieu dans les huîtres, on ne peut donc les voir. On pourrait imaginer un système d’observation à l’aide de caméras infrarouges mais un tel dispositif est très difficile à mettre en place sur l’atoll sur lequel nous avons fait nos travaux », détaille Loïc Kéver.
Confirmer ou infirmer le parasitisme
La nature des relations entre les Onuxodon et leur hôte bivalve n’est pas encore déterminée avec certitude.
« Les poissons peuvent s’en servir simplement comme abri, ils peuvent se servir de l’huître comme source alimentaire ou il y a un échange au cours duquel le poisson pourrait protéger l’huître ».
Pour étayer ces hypothèses, il faut que les chercheurs liégeois parviennent à étudier le bol alimentaire de ces hôtes. Une tâche un peu complexe qui risque d’occuper les chercheurs un bon moment…
« L’Onuxodon mange très peu, il n’est donc pas possible d’étudier le contenu de son estomac. La piste explorée par d’autres chercheurs du laboratoire est d’étudier les rapports isotopiques des tissus de tout ce que l’on trouve dans l’huître, Onuxodon compris. La comparaison des rapports devrait permettre de savoir si le poisson se nourrit de l’huître ou pas », conclut le Dr Loïc Kéver.