La planète bleue suffoque

9 janvier 2018
par Daily Science
Durée de lecture : 4 min

SERIE (2) / Cap au large

Quasi tout le littoral nord européen est dans le rouge. Et il en va de même le long de la côte Est des Etats-Unis. Au Japon, dans l’Océan Indien, en Australie mais aussi dans la zone équatoriale de l’océan Pacifique, la situation devient de plus en plus préoccupante. En un mot comme en cent, toutes ces mers et océans souffrent d’un même mal: la désoxygénation. Ils suffoquent. Ils perdent leur oxygène.

Ce constat vient d’être posé par une vingtaine de chercheurs, dont le Dr Marilaure Grégoire, Directeur de recherches F.R.S-FNRS à l’Université de Liège (ULiège). Avec ses collègues répartis aux quatre coins de la planète, la Directrice du laboratoire MAST (« Modeling for Aquatic Systems » de l’ULiège), tire la sonnette d’alarme.

« Au cours des 50 dernières années, la quantité d’eau sans oxygène en haute mer a quadruplé », indique-t-elle. « Et pour les eaux côtières, y compris les estuaires et les mers, les sites à faible teneur en oxygène ont été multipliés par 10 ».

La faute aux changements climatiques et aux rejets anthropiques

« Nous nous attendons même à ce que le niveau d’oxygène continue de baisser même en dehors des zones étudiées, au fur et à mesure que notre planète se réchauffe », explique Marilaure Grégoire. « De vastes régions de l’Océan Pacifique, déjà naturellement pauvres en oxygène, voient ainsi leur teneur en oxygène encore diminuer pour atteindre des seuils critiques, voire létaux, pour les organismes y vivant. »

Au niveau des océans, les eaux de surface sont bien oxygénées par la dissolution de l’oxygène atmosphérique et la photosynthèse. En profondeur, l’oxygène est consommé par la respiration et son renouvellement dépend de l’existence de mécanismes capables d’amener les eaux de surface bien oxygénées en profondeur, c’est ce que l’on appelle la ventilation des eaux.

« Les changements climatiques sont en train de perturber cet équilibre. Le réchauffement des eaux de surface réduit en effet l’intensité de la ventilation des eaux et la solubilité de l’oxygène, reprend Marilaure Grégoire. Et dans les eaux côtières, c’est la pollution par les nutriments provenant des terres qui crée des proliférations algales qui consomment énormément d’oxygène lorsqu’elles meurent et se décomposent. »

Mort par asphyxie

Dans les « zones mortes » traditionnelles, comme celles de la Baie de Chesapeake (sur la côte Est des Etats-Unis) et de la mer Baltique, le niveau d’oxygène peut atteindre des niveaux si bas que beaucoup d’animaux meurent asphyxiés.

En mer Noire, une mer surveillée depuis longtemps par l’équipe liégeoise, en dessous de 100 m de profondeur on ne trouve que des bactéries en raison de l’absence d’oxygène et de la présence de vastes quantités de sulfide d’hydrogène. Comme les poissons évitent ces zones, leur habitat se réduit et ils se retrouvent plus exposés aux prédateurs et à la pêche.

Dans leur rapport, les scientifiques font également remarquer que le problème dépasse de loin le seul phénomène des « zones mortes ». « Même de plus petites baisses en oxygène peuvent freiner la croissance des espèces, entraver leur reproduction et entraîner des maladies voire la mort. » Le changement des niveaux d’oxygène peut aussi déclencher la production de substances chimiques dangereuses telles que le protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre jusqu’à 300 fois plus puissant que le dioxyde de carbone, et le sulfure d’hydrogène toxique.

Appauvrissement des services écosystémiques

Le Dr Denise Breitburg, premier auteur de cette publication scientifique, va plus loin dans son analyse.

« À mesure que l’appauvrissement en oxygène devient plus important, plus persistant et répandu, une plus grande partie de l’océan perd sa capacité à soutenir des ensembles d’animaux riches en biomasse et susceptibles de fournir d’importants services écosystémiques ».

Pour de nombreux organismes océaniques, des niveaux d’oxygène réduits peuvent avoir un impact sur leur croissance, leur reproduction voire leur survie et peut modifier leurs réponses immunitaires et augmenter la maladie.

« Au final, ce déclin global de l’oxygène dans les océans aura des conséquences pour l’ensemble de la société humaine », estiment les chercheurs.

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