Naître avec une cécité temporaire a un impact à long terme sur l’organisation du cerveau. Voilà ce que vient de montrer le chercheur Olivier Collignon, de l’Université Catholique de Louvain (UCL).
Le scientifique, qui bénéficie d’une bourse ERC (Conseil européen de la Recherche) pour ses travaux, s’intéresse à la plasticité cérébrale: la manière dont le cerveau s’adapte et se réorganise suite à un incident. Dans le cas présent, il s’agit d’une perte de la vue temporaire, due par exemple à une cataracte congénitale bilatérale. Il s’agit d’une opacification des cristallins qui empêche le passage de la lumière.
De bébés suivis pendant 25 ans au Canada
Cette anomalie se soigne, même chez les bébés. Une intervention chirurgicale courante et peu onéreuse permet de remplacer les cristallins endommagés par l’implant de lentilles.
Cette courte privation de la vue expérimentée au tout début de la vie a un impact permanent sur l’organisation du système sensoriel. C’est ce que démontre le Dr Olivier Collignon.
Difficulté dans la perception de mouvements non biologiques
En collaboration avec Adélaïde de Heering, chercheuse à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), il a étudié un ensemble de patients opérés d’une cataracte congénitale bilatérale à l’âge de 6 mois en moyenne et suivis depuis environ 25 ans par une équipe de l’Université de Toronto, au Canada
En théorie, ces personnes ne souffrent plus aujourd’hui de problème de vue. Elles présentent toutefois des problèmes légers de traitement visuel tels que :
- – la difficulté de percevoir les mouvements non biologiques (vers la droite ou la gauche) et une moins bonne reconnaissance des différences entre les visages
- – la difficulté de traiter les hautes fréquences spatiales (par exemple, percevoir les détails très rapprochés d’une image)
Pour les besoins de l’étude, les patients ont effectué des tâches comportementales simples. Le principe ? Détecter le plus rapidement possible des informations visuelles ou des informations auditives qui surviennent de façon non prévisible, à leur gauche ou à leur droite.
Les résultats montrent que les patients « cataracte » répondent de manière plus rapide et plus efficace aux stimuli auditifs en comparaison avec les sujets qui n’ont jamais connu de privation visuelle. Leur traitement auditif est donc plus fin.
La dominance visuelle supplantée par la perception auditive
L’étude a également comparé le coût du changement de modalité chez ces patients. De manière générale, il est plus aisé de traiter une information visuelle comme un flash (une information visuelle) après avoir traité une première information visuelle, car le cerveau s’habitue et « automatise » son mode de traitement.
Traiter deux informations différentes l’une à la suite de l’autre est par contre plus difficile : c’est le coût du changement de modalité.
Chez les « voyants », la dominance visuelle est un phénomène classique. Il est plus facile pour le cerveau de passer au traitement visuel d’une information après avoir traité une information auditive que le contraire. L’équipe de chercheurs de l’UCL a observé exactement l’inverse chez les patients ayant subi une opération de la cataracte. La dominance sensorielle est « débalancée » (réorganisée) au bénéfice du système auditif, qui est devenu le système dominant. Il est donc plus facile pour ces patients de repérer un son après un flash que le contraire.
Ces travaux montrent donc toute l’importance des premiers mois de la vie dans la mise en place des interactions entre les différentes régions sensorielles dans le cerveau.
Regardez ci-dessous le Dr Collignon détailler sa recherche