L’historien Donald Sassoon, l’économiste André Sapir et le politologue Mario Telò poursuivent une réflexion entamée lors de conférences organisées en 2016 par l’Académie royale de Belgique au Collège Belgique. Ils développent leurs idées dans «La place de l’Europe dans le monde du 21e siècle», collection L’Académie en poche.
Les auteurs situent les changements avec le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. L’élection d’un imprévisible président étatsunien. L’émergence de la Chine. De nouvelles économies. Un monde multipolaire, instable, fragmenté et plus dangereux.
En danger à cause de la Grande-Bretagne
Comme le Danemark, l’Irlande, la Suède, l’Autriche et la Finlande, la Grande-Bretagne a rejoint l’Europe pour des raisons économiques.
«Tous les Premiers ministres après Edward Heath, le seul vrai Européen, voulaient une union économique, à la condition que l’UE reste un nain politique», rappelle Donald Sassoon, professeur émérite d’histoire contemporaine au Queen Mary University of London. «La Grande-Bretagne a constamment cherché des dérogations, des traitements spéciaux. Les Britanniques ont participé à la rédaction des règles relatives à l’euro. Mais ils ont contribué à ce que l’euro soit faible avec peu de contrôles. Les Britanniques ont même essayé d’arrêter la démocratisation de l’UE. Et le renforcement du Parlement européen.»
Le retrait de l’UE a été imputé aux travailleurs mécontents, aux perdants sociaux, aux électeurs ignorants… «Les partisans du Brexit ont menti en leur disant qu’une fois le Royaume-Uni libéré de la tyrannie des bureaucraties de Bruxelles, la manne tombera du ciel. En fait, la responsabilité devrait être imputée aux classes politiques soi-disant intelligentes et cultivées. Surtout au gouvernement de 2010-2015. Et plus encore au Premier ministre David Cameron, qui, dans le but de régler un problème interne à son parti, a conduit son pays et peut-être l’Europe vers un précipice… Et tout cela au moment où le monde doit faire face à Donald Trump. Bonne chance, Europe!»
Le Brexit impacte l’Europe de la recherche
Comme les autres pays avancés, l’UE traverse une phase de grande transformation selon l’économiste André Sapir, professeur émérite à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), membre de l’Académie royale de Belgique. Une période caractérisée principalement par la montée en puissance des pays émergents. Et la révolution technologique digitale.
Cette transformation offre de nouvelles opportunités à certaines catégories socio-économiques. Tandis que d’autres la subissent. Et envisagent avec inquiétude leurs perspectives économiques futures. Ou celles de leurs enfants.
«Idéalement, les pays de l’UE devraient évoluer vers des modèles économiques et sociaux scandinaves. À la fois efficaces sur le plan économique et équitable sur le plan social.»
Le Brexit nuira notamment à l’Europe de la recherche… «D’après le fameux classement de Shanghai, parmi les 50 meilleures universités dans le monde pour la recherche, 31 sont aux États-Unis et 13 dans l’UE», relève l’économiste, chercheur au Centre for Economic Policy Research basé à Londres. «De ces 13 universités, 7 sont au Royaume-Uni. Ou plus exactement en Angleterre.»
Une Europe à plusieurs vitesses
Les 5 prochaines années seront cruciales assure Mario Telò, professeur de Relations internationales à l’ULB. L’avenir appartient en partie aux Européens. Soit, l’avancée se fera vers l’intégration politique et sociale par de nouvelles propositions concrètes. Soit, le repli nationaliste et protectionniste, l’exclusion, l’intolérance, la politique de la haine ouvriront la voie aux pires scénarios.
«L’UE dispose des conditions internes pour se relancer en tant qu’entité démocratique», souligne le membre de l’Académie royale de Belgique. «Force tranquille et de paix. Engagée pour une gouvernance mondiale pluraliste et ordonnée. À la fois multilatérale et multirégionale. L’Europe à plusieurs vitesses est la seule option permettant de défendre nos valeurs et notre identité dans le monde incertain et instable du 21e siècle.»
«Si les Européens veulent vivre en paix, ils doivent renforcer l’union politique et la coopération européennes. Car nous savons que le protectionnisme économique, c’est l’appauvrissement. Et le nationalisme exacerbé, c’est la guerre.»