Un portrait de Céline, l’écrivain pestiféré

4 juillet 2014
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
«Louis-Ferdinand Céline: mort et vif…!», Collection «L’Académie en poche»,  5 euros en version papier, 3,99 euros en numérique.
«Louis-Ferdinand Céline: mort et vif…!», Collection «L’Académie en poche», 5 euros en version papier, 3,99 euros en numérique.

Céline… Insultes et louanges fusent à l’évocation du nom de plume du docteur Louis Destouches, décédé en 1961. Collabo, antisémite, génie littéraire… Le professeur émérite de l’Université de Liège Jacques Joset aborde la complexité du personnage dans «Louis-Ferdinand Céline: mort et vif…!», de la collection «L’Académie en poche». L’académicien s’appuie sur des faits biographiques, des lettres, des pamphlets pour examiner les raisons qui font de Céline un écrivain pestiféré.

 

«Il convenait, me semble-t-il, de reprendre le dossier en le focalisant, contre mon gré, sous la problématique indépassable de l’idéologie de Céline et en tâchant de relire autrement l’oxymore devenu stéréotype de l’excellent écrivain salaud.»

 

Trahison amoureuse

 

Que reprochait la justice française de l’épuration à ce médaillé, mutilé de la Grande Guerre? Son antisémitisme, ses pamphlets, son attitude pendant l’Occupation. Enfant unique, Céline entendait son père, modeste employé, pester contre ces Juifs qui tiennent le haut du pavé. Dominent le grand commerce. Ruinent les petits boutiquiers comme sa mère, marchande et réparatrice de dentelles anciennes.

 

«Un événement personnel vient sans doute ajouter une couche à cet antisémitisme célinien de base», relève le membre de l’Académie royale de Belgique. «Une danseuse américaine, Élisabeth Craig, le grand amour de sa vie, retourne aux États-Unis pour épouser Ben Tankel, un Juif de Los Angeles. Quoi qu’on en ait dit, cette trahison a dû être plus que douloureusement ressentie par un émotif qui l’aura traduite en rancune et en écriture.»

 

Pour l’égalité républicaine absolue

 

L’antisémitisme familial et ambiant dans la société française pendant l’entre-deux-guerres. Le déboire amoureux causé, en 1933, par l’abandon de la dédicataire de son livre «Voyage au bout de la nuit». Et le racisme impuni trouvent un exutoire dans une trilogie de pamphlets antijuifs. Rarement lue mais stigmatisée encore aujourd’hui. L’écrivain en a interdit la réédition dès 1945. Interdiction maintenue par sa veuve Lucette Almanzor qui a fêté ses cent ans en 2012.

 

Dès 1938, le Dr Destouches est mûr pour la collaboration. Il voit en Hitler un homme soucieux de la vie des peuples. Il en veut à la «République maçonnique française» du Front populaire. Il critique la lâcheté de l’armée française en fuite devant les troupes allemandes…

 

Pour sauver la France et lui redonner la gaîté, ce dénonciateur du communisme stalinien propose un «Communisme Labiche» qui prône l’égalité républicaine absolue. La justice sociale intégrale qui octroie le même salaire à tous avec quelques différences minimes. Le travail pour tous est assuré par les nationalisations de l’ensemble des industries, de la finance et de l’agriculture. Il s’agit de mettre fin au «chacun pour soi», au «tous contre un» et au «un contre tous». Un programme qui ne répond pas aux vues du maréchal Pétain.

 

Contre les Juifs, les Français, les Allemands

 

«Céline est contre les Juifs, contre les Français, mais aussi contre les Allemands qui lui ont dérobé 150 pièces d’or en forçant un coffre-fort qu’il avait ouvert en Hollande. Il est finalement contre tout. Il refuse d’appartenir à l’un des partis ou à un organe quelconque de collaboration en dehors d’une adhésion fugace et peut-être forcée au Cercle européen fréquenté surtout par le milieu médical pro-allemand. Il refuse en 1941 d’être du voyage en Allemagne des écrivains collabos. Les Allemands se méfient de quelqu’un qui semble avoir compris très tôt que la guerre était perdue pour les puissances de l’Axe.»

 

Les écrits gratuits parus dans la presse collaborationniste sont des lettres envoyées aux rédacteurs. Parfois délirantes de racisme, spontanées ou en réponse à des articles. Céline n’a jamais parlé à Radio-Paris, la station de la collaboration. Il savait que l’appartement de son voisin à Montmartre servait de plaque tournante à des réseaux de Résistance. Et il n’a dénoncé personne. Il a signé des certificats de complaisance pour des réfractaires au Service du travail obligatoire en Allemagne. Aidé des Juifs… L’auteur du «Voyage» et de «Mort à crédit» n’a vécu que jusqu’à 67 ans. Dès 1945, il avait mis en sourdine son obsession judéo-maçonnique.

 

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