Une technologie mise au point à l’Observatoire Royal de Belgique met la créativité des sismologues du monde entier à rude épreuve. L’un d’eux, le Dr Aurélien Mordret, actuellement en post-doctorat au Massachusetts Institute of Technology (MIT), vient de relever le défi de manière assez surprenante.
« En écoutant le bruit des vagues généré par l’océan, nous pouvons déterminer dans quelle mesure la calotte polaire qui écrase le Groenland est en train de fondre », explique-t-il.
Comment fait-il? Avec ses collègues, il utilise le logiciel MSnoise (« Monitoring with Seismic Noise ») développé par le Dr Thomas Lecocq, à l’Observatoire Royal de Belgique (section de séismologie).
Le bruit de fond sismique comme outil de mesure
Les vagues qui frappent la côte engendrent de minuscules vibrations qui se propagent dans la croûte terrestre: c’est le « bruit sismique ». Le logiciel MSnoise, élaboré voici deux ans à Bruxelles, calcule de manière continue les corrélations de bruit sismique à partir de données enregistrées en continu par un réseau de sismomètres. Une fois ces corrélations calculées, elles sont utilisées pour mesurer des variations de vitesse de propagation des ondes dans le milieu étudié.
Les ondes sismiques générées par les vagues de l’océan se propagent à des vitesses qui dépendent en partie de la porosité de la croûte. Dans les roches les plus poreuses, ces ondes se déplacent plus lentement.
Changements de vitesse de propagation dans « l’éponge » groenlandaise
Schématiquement, on pourrait dire que la masse de la glace qui écrase la roche (la calotte fait plus de trois kilomètres d’épaisseur par endroit!) comprime cette « éponge » groenlandaise. Quand elle fond, cela permet à la roche de rouvrir ses « alvéoles ». Ce qui entraîne un changement de vitesse de propagation des ondes sismiques.
« Le réseau permanent de sismomètres installés au Groenland diffuse quasi en temps réel ses données », reprend le Dr Mordret. « Il nous permet de capter ce « bruit » sismique ».
« Nous avons focalisé nos travaux sur deux années exceptionnelles de données pour tester notre méthode. 2012 a vu une fonte exceptionnelle de la calotte groenlandaise alors qu’en 2013, il n’y a eu pratiquement pas de fonte. Ces deux années présentaient le plus de contrastes que nous pouvions espérer observer avec des techniques sismologiques ».
Vérifications par satellites
Les travaux du Dr Mordret et de ses collègues montrent effectivement que les fluctuations du bruit sismiques dans l’ouest du Groenland permettaient d’estimer l’évolution de la masse de glace dans la région. Des résultats confirmés par les satellites américains GRACE, de la Nasa.
“La surveillance par corrélation de bruit sismique a été développée à l’origine pour surveiller l’activité volcanique et a permis de découvrir des précurseurs à certaines éruptions volcaniques, comme au Piton de la Fournaise sur l’île de la Réunion”, explique Aurélien Mordret.
“Elle a ensuite été appliquée à la surveillance des failles actives pour observer le comportement de la croûte terrestre après un séisme. Il y a aussi eu quelques applications dans le domaine de la surveillance de stockage de CO2 ou de réservoirs pétroliers, ainsi qu’une utilisation pour la prédiction de glissement de terrain”.
Cap sur la glace Antarctique
« Nous venons de montrer que la surveillance de la fonte des glaces terrestres était une autre application potentielle de cette technique ».
« Notre objectif maintenant est d’appliquer la même méthode en Antarctique afin de déterminer si nous sommes capables d’observer la fonte de la calotte Ouest-Antarctique. Les différences ou similitudes des résultats permettront de mieux comprendre les mécanismes en jeu lors de la fonte d’une calotte polaire dans le contexte du réchauffement global », indique encore le sismologue.
La sismologie pour surveiller la santé… des gratte-ciels
Dans l’immédiat, il travaille sur la surveillance continue des gratte-ciel, toujours avec la même technique de corrélation de bruit sismique. « Le but, ici, est de comprendre le comportement de leur structure sur le long terme vis-à-vis de paramètres environnementaux: comment la température et l’humidité affectent le béton et la structure entière du bâtiment. Cela doit permettre à terme de détecter et localiser plus facilement les dommages et défauts dans la structure dus l’âge ou à un séisme, par exemple ».
Parallèlement, le Dr Mordret poursuit aussi sa collaboration scientifique avec le Dr Thomas Lecocq, à l’Observatoire Royal de Belgique, sur les thèmes de l’utilisation des corrélations de bruit sismique ambiant et de la diffusion auprès de la communauté scientifique d’outils permettant d’utiliser plus facilement ces techniques. Enfin les deux scientifiques collaborent aussi dans le cadre du développement d’un logiciel de tomographie sismique « user-friendly ».
Alors, poussiéreuse la sismologie?