Les « digital natives » se croient imperméables à la publicité

28 septembre 2016
par Céline Husson
Temps de lecture : 4 minutes

« Les publicités ? Je me suis habitué à ne plus les voir ! » Cette remarque, c’est un des cent « digital natives » interrogés par le Pr Claude Pecheux qui la formule. La chercheuse, spécialisée en marketing, à l’époque attachée à l’Université Catholique de Louvain (UCL), à Mons, a été mandatée par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) pour faire le point sur la question. Son étude s’intéresse à la perception par les jeunes de la communication commerciale en ligne.

 

« Les pubs sont bien présentes sur les écrans, et bien plus que ce que les jeunes internautes perçoivent consciemment quand ils surfent » constate en substance la chercheuse.

 

Bien qu’il existe déjà une réglementation en la matière, le CSA estime qu’il est nécessaire de la revoir. Afin de mieux l’adapter à la réalité du terrain.

 

Publicité et génération connectée

 

Depuis quelques années, le net a pris le dessus face à la télévision en matière de consommation chez les jeunes (les « digital natives », nés avec internet).  La télévision est au placard. Pour 70% des jeunes de 15 à 24 ans, c’est le web qui atteint le haut du classement en termes de « temps-écran ».

 

L’étude de Claude Pecheux porte sur la perception, pour un même contenu, de la communication commerciale en fonction du service (linéaire ou non). Les services non linéaires comprennent le web, YouTube, des chaînes de télévision sur le web, la télévision à la demande, etc. Ils sont à différencier de la télévision qui est, elle, « linéaire ».

 

Pour son étude, la scientifique aujourd’hui professeur de marketing à l’École des hautes études commerciales du nord (EDHEC) de Lille, a interrogé plus d’une centaine de jeunes, de 17 à 25 ans.

 

« Ces « digital natives » sont plus réceptifs et habitués aux nouvelles technologies que d’autres cohortes… », explique-t-elle dans son rapport.

 

« C’est gratuit, donc il y a des pubs !»

 

À travers une série d’entretiens, elle a pu se rendre compte que les jeunes sont tolérants face à la publicité. Ils la considèrent comme légitime car présente sur des supports gratuits. Il s’agirait donc, pour eux, d’une contrepartie naturelle et logique à cette gratuité.

 

Même si certains ont installé un logiciel qui bloque les publicités: souvent, un logiciel à l’efficacité relative. D’autres sont conscients que la publicité sera toujours présente, même de manière minime.

 

« Ils sont presque unanimes pour affirmer qu’un contrôle total sur la communication commerciale diffusée sur les nouvelles plateformes n’existe pas », analyse le CSA à la fin du rapport du Pr Pecheux.

 

Un impact… en toute discrétion

 

Les croyances actuelles, véhiculées par les jeunes eux-mêmes, prétendent que les « digital natives » sont devenus presque imperméables à la publicité.  « J’ai l’impression que mon œil n’accroche pas plus que ça », indique l’un d’eux.

 

Ce n’est que lorsqu’ils sont confrontés à la publicité de manière consciente que les jeunes se rendent compte qu’elle est plus forte sur internet que ce qu’ils pensaient. Parce qu’elle y est dissoute : publicité vidéo précédant le visionnage d’un clip, logos, bannières, liens promotionnels, publicités au milieu de l’écran. Loin d’être rassemblée, comme en télévision, elle est omniprésente sur le web.

 
Une chaîne de compréhension essentielle

 

Les jeunes testés ne parviennent pas toujours à identifier la communication commerciale comme telle. Ils ne s’en rappellent parfois même pas, directement après vision.

 
« Ce résultat ne veut pas dire que les répondants sont moins influencés par les publicités dans le cas du streaming (ne pas se rappeler spontanément ne veut pas dire qu’on n’a pas vu la publicité). Au contraire, il peut être interprété comme le fait que les publicités se fondent plus dans le décor d’une plateforme Internet ou que l’intention persuasive ne soit pas perçue », analyse le Pr Pecheux.

 
Pourtant, cette chaîne de compréhension est essentielle pour parvenir à ce que le consommateur soit conscient de l’impact de la publicité : identifier qu’il s’agit de communication commerciale, reconnaître l’intention persuasive et donc faire preuve de vigilance.

 
Le CSA estime que « les résultats de la recherche laissent à penser que la maîtrise des différents codes de lecture ne va pas nécessairement de soi, même quand l’utilisateur est familiarisé avec l’environnement non linéaire ».

 
Des réglementations inégales

 

Il existe pourtant déjà un système de régulation : il est défini par le décret coordonné sur les services des médias audiovisuels (adapté de la directive européenne SMA). Il établit les « Règles générales pour les services linéaires et non linéaires ».
Selon ce texte , la publicité est censée être identifiable (donc pas diffusée de manière subliminale ni prise pour du contenu éditorial), ce qui est rarement le cas.

 

Comme les tests de Claude Pecheux l’ont démontré, trop souvent, les jeunes n’identifient pas les communications commerciales. Ils considèrent dès lors l’expérience sur internet plus agréable car ils la croient moins perturbée par les publicités.

 

Pour le CSA, ne pas faire de différence entre les deux services, c’est les nier.

 

« Dans la mesure où les formats commerciaux sur Internet tendent à se renouveler continuellement (…) et à faire émerger de nouvelles techniques, il est difficile de préjuger que l’utilisateur maîtrise d’emblée tous les codes de lecture liés à ces formes de communication commerciale », indique-t-il.

 

Le CSA insiste donc sur le fait qu’il est nécessaire de mettre en place un cadre européen qui régule la communication commerciale, aussi bien dans les services linéaires que non linéaires, en tenant compte de leurs différences.

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