Martin Desseilles, professeur à l’Université de Namur, s’est associé à ses confrères psychiatres Nader Perroud (Université de Genève) et Bernadette Grosjean (University of California) pour écrire le «Manuel du bipolaire» édité chez Eyrolles. Les auteurs présentent, aux personnes en souffrance, à leur entourage et aux soignants, un outil pour cerner le trouble maniaco-dépressif, appelé bipolaire. Avec un plan d’action personnalisé, des questionnaires, des portraits de patients.
Selon le Pr Serge Beaulieu de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, affilié à l’Université McGill de Montréal, «ce manuel arrive à point pour offrir des connaissances aussi accessibles que fiables sur cette maladie si fréquente». Pour le Pr Jordi Quoidbach de l’Université Pompeu Fabra de Barcelone, «Les nouvelles formes de prise en charge thérapeutique et de psychoéducation présentées dans ce livre laissent entrevoir le futur avec optimisme.»
Un sommeil perturbé donne l’alerte
Jusqu’à 5% des adultes passent régulièrement de périodes exaltées à des phases dépressives. N’avoir plus besoin de dormir ou dormir tout le temps représente un signal d’alarme, une cause et une conséquence du trouble bipolaire. Mais diagnostiquer la maladie est une opération délicate, incertaine. La situation n’est pas coulée dans le béton.
«Depuis les quasi deux cents années d’existence de la psychiatrie, le stéthoscope du psychiatre, ce sont ses oreilles et ses yeux avant tout», relèvent les auteurs du manuel. «Et ensuite, ce qu’il ressent dans la consultation et qu’il essaie de comprendre dans la relation singulière avec un patient.»
Les chercheurs se centrent sur les marqueurs de l’activation cérébrale. Ils ont observé que les régions servant au traitement des émotions sont trop activées chez les bipolaires. Celles contrôlant les émotions le sont moins. La réaction trop grande du striatum constitue aussi un marqueur. Cette structure cérébrale est impliquée dans le système de récompense lié aux sensations de plaisir.
Gènes et environnement
La recherche se penche sur des marqueurs plus facilement mesurables, comme une simple prise de sang. Du côté de la génétique, on ne peut pas identifier un seul gène qui serait responsable de la bipolarité. Une solution serait de s’intéresser au résultat de l’interaction entre gènes et environnement. Aux générateurs de stress qui bousculent un système en équilibre.
L’épigénétique révèle que l’expression des gènes peut être modifiée. Cette variation semble dépendre en partie du stress que la personne subit et du milieu dans lequel elle grandit. Aussi bien in utero qu’à la naissance, que pendant l’enfance et l’adolescence.
Une thérapie narrative
Raconter l’histoire d’une vie en dent-de-scie. La réévaluer avec l’aide d’un thérapeute, c’est une des techniques curatives recommandées.
«La thérapie narrative propose de passer d’une histoire qui bloque et qui fait souffrir à une histoire qui pousse à avancer. Qui motive et permet de vivre, en extériorisant les symptômes qui sont racontés», expliquent les psychiatres.
La «eMentalHealth», la santé mentale électronique, développe aussi des thérapies. En utilisant notamment des personnes numériques, des avatars auxquels on peut s’identifier.
Le lithium reste le médicament le plus efficace
Les traitements médicamenteux sont souvent la seule solution au calvaire enduré par les bipolaires. Les auteurs du manuel contredisent les rumeurs de dangerosité excessive des sels de lithium. Selon eux, cette molécule reste l’approche la plus efficace dans le traitement et la stabilisation à long terme du trouble bipolaire. Elle prévient les suicides, les tentatives de suicide et les idées suicidaires. L’efficacité du traitement dépend de l’obtention et du maintien d’une quantité idéale de lithium dans le sang. On ne connaît pas encore son mécanisme d’action.
«Comme beaucoup de traitements, ce médicament est lié à des accidents et nécessite un suivi particulier. C’est probablement une des raisons pour lesquelles il est malheureusement de moins en moins proposé en première intention par les médecins. Une autre des raisons est liée au fait que le lithium est un sel que l’on trouve dans la nature. Et qu’il ne bénéficie pas d’une promotion publicitaire comparable à celle d’autres médicaments brevetés.»