La famille Vega intéresse beaucoup les chercheurs et les industriels belges. Notamment l’université de Liège et l’entreprise SABCA, à Bruxelles.
Vega? C’est le nom de l’actuel « petit » lanceur spatial européen fabriqué en Italie par la société Avio, dont le 13e exemplaire vient de placer en orbite, voici quelques heures à peine, le satellite marocain MOHAMMED VI – B d’observation de la Terre.
La famille Vega s’agrandit
À côté de sa grande soeur Ariane 5 (et bientôt Ariane 6), la petite Vega (137 tonnes au décollage tout de même) permet de lancer des satellites de 1500 kilos sur une orbite polaire de 700 km d’altitude. À l’avenir, on compte cependant sur elle pour des engins plus imposants.
Dès l’an prochain, Vega « C », une version améliorée, permettra d’emporter des charges de 2.300 kilos en orbite terrestre basse. Une montée en puissance rendue notamment possible par le remplacement du premier étage du lanceur par une version plus puissante dotée de 120 tonnes de poudre (au lieu de 80 tonnes aujourd’hui). Ce moteur à poudre, baptisé P120, servira aussi de booster pour la future Ariane 6.
Toutefois, la saga Vega ne s’arrête pas là. Les ingénieurs et les chercheurs de Colleferro, au sud de Rome, où est installée l’usine à fusées d’Avio, planchent depuis 2017 sur une troisième version du petit lanceur: Vega « E » (pour « Evolution). Cette fois, il s’agit de placer jusqu’à trois tonnes de charges utiles en orbite. Grâce au P120, mais aussi grâce au développement d’un tout nouveau moteur à carburants liquides pour le troisième étage de la fusée. Un moteur à oxygène et à méthane liquides baptisé M10.
Cryotribologie liégeoise
Pour réaliser la M10, Avio fait appel à une équipe industrielle et scientifique européenne incluant notamment des équipes belges.
« Nous travaillons effectivement sur le développement du M10 avec Avio », confirme le Pr Jean-Luc Bozet, spécialiste en cryotribologie du département de Chimie appliquée de l’Université de Liège.
« En réalité, nous collaborons avec Avio sur le développement de moteurs cryogéniques depuis les années 1990. Cette collaboration a commencé avec le développement du moteur Vulcain », indique l’ingénieur.
Vulcain est le moteur principal du lanceur européen lourd Ariane 5. Il est dit cryotechnique parce qu’il est alimenté par de carburants liquides extrêmement froids: de l’oxygène liquide (-183°C) et de l’hydrogène liquide (−250 °C).
« Dans ce cadre, nous avons eu l’occasion de développer à Liège, dans les bois du Sart-Tilman, une installation d’essai de ce type de moteurs, avec le soutien de l’ESA, l’Agence spatiale européenne, mais aussi de la Politique scientifique fédérale belge (Belspo). Nous sommes spécialisés dans les questions liées à l’oxygène liquide ».
Etanchéité et roulements à billes
« En ce qui concerne le moteur M10 du futur dernier étage de Vega E, notre expertise concerne l’étanchéité dynamique du moteur, c’est-à-dire l’interface qui sépare les liquides froids des gaz chauds. Et nous espérons continuer à travailler sur les roulements à billes de ce moteur. Ces roulements tournent à très haute vitesse dans les turbopompes, jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de tours par minute. Et ils sont soumis à des températures extrêmes. C’est ici que notre expertise en tribologie (la science des frottements) s’avère utile », sourit le Pr Bozet.
Et l’ingénieur a raison d’avoir le sourire aux lèvres. Le premier essai de mise à feu statique d’un modèle réduit du moteur M10 vient d’avoir lieu à Colleferro sous ses yeux. Quelques dizaines de secondes de fonctionnement sans histoire. Le test est un succès pour ce moteur désormais « imprimé ».
M10, un moteur rallumable low cost
« Nous sommes sur la bonne voie », s’exclame Giulio Ranzo, le patron d’Avio. Notre moteur au méthane, qui est réalisé en « additive manufacturing » (c’est-à-dire qu’il est « imprimé ” en une pièce plutôt que réalisé par l’assemblage de 200 pièces différentes), va permettre à Vega E de remplir des lancements multiples de satellites. Le M10 est en effet un moteur rallumable. Ce qui permet de changer en cours de mission l’orientation du dernier étage, et même d’orbite, pour déposer sur divers plans divers satellites grâce à une seule fusée. Une solution polyvalente et donc moins chère.
Sans compter que le M10 « imprimé » est lui aussi low cost en termes de coûts de fabrication. Mais ce ne sont pas là ses seuls atouts. La nature même de son carburant en fait un moteur particulièrement « vert », moins polluant que les moteurs rallumables utilisés actuellement sur Vega: des moteurs AVUM de facture russe utilisant un carburant particulièrement toxique (de l’hydrazine). L’espace low cost peut aussi aller de pair avec le « green space », souligne-t-on volontiers à Colleferro.
Et la Sabca dans cette nouvelle aventure spatiale? « Nous sommes présents sur l’actuel lanceur Vega et nous le serons aussi sur Vega C », indique Marc Dubois, responsable « sales & business development » de l’entreprise. « Ce sont nos servocommandes qui permettent d’orienter le moteur des différents étages principaux du lanceur. Sur Vega E, nous proposons d’en faire de même pour le moteur M10 ».
Le premier vol du lanceur Vega E est prévu, au plus tôt, pour 2025.