La région autour du bassin du Lac Kivu (Burundi, République Démocratique du Congo, Rwanda) est une des plus densément peuplée d’Afrique. Une zone qui se caractérise aussi par des risques naturels majeurs comme des glissements de terrain, des séismes, et abrite 2 volcans les plus actifs du continent : le Nyiragongo et le Nyamulagira.
Le Nyiragongo menace à lui seul plus de 700 000 habitants.
Aider les autorités de cette région à mieux gérer ces risques naturels est le but du projet «GeoRisCA». Coordonnée par le Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC) , l’étude a été lancée en 2012 en partenariat avec l’ULB , l’ULg , la VUB et le Centre Européen de Géodynamique et de Sismologie (Luxembourg).
Le social au cœur des sciences naturelles
L’évaluation des risques aux catastrophes naturelles s’est faite à travers l’étude des aléas géologiques, ainsi que de la vulnérabilité de la population et des infrastructures.
« Combiner les sciences naturelles et les sciences humaines représente une des grandes originalités de notre projet » déclare François Kervyn, géologue et coordinateur du projet.
Les chercheurs de l’ULB et du MRAC ont dénombré la population à partir de données satellitaires. Combinées à des données démographiques de terrain. En parallèle, la vulnérabilité de la population a été évaluée grâce à des données socio-économiques, recueillies via des enquêtes.
A la fin du projet en décembre 2016, les scientifiques ont remis aux autorités divers outils d’aide à la décision. Dont des cartes d’aléas et de risques aux catastrophes géologiques.
Des outils spécifiques pour les scientifiques locaux
Les scientifiques se sont surtout concentrés sur les villes de Goma, située au pied du Nyiragongo, et de Bukavu.
« En plus des cartes, nous avons aussi fourni des logiciels destinés à nos partenaires scientifiques locaux tels que l’Observatoire volcanologique de Goma, l’Institut national de la statistique et l’Institut Supérieur Pédagogique de Bukavu » stipule François Kervyn.
« La VUB a développé un logiciel permettant de simuler les coulées de lave du volcan. Qui a la particularité d’avoir une lave très fluide qui peut s’écouler par ses flancs à travers des fissures. Ce programme propose aussi d’anticiper les endroits exposés au risque de coulée de lave. Utile pour aider à la prise de décisions en période de crise ».
Le MRAC a développé un autre outil dans le but de reproduire plus facilement l’analyse des données d’enquêtes effectuées à Goma et à Bukavu.
« 17 000 personnes ont en tout été questionnées pour évaluer la vulnérabilité de ces populations. Reproduire ces enquêtes permettrait d’estimer l’évolution dans le temps des facteurs de vulnérabilité identifiés ».
Des risques bien réels
Les raisons de fournir ces divers outils sont multiples. Dans le cas de la ville de Goma, même s’il existe un Observatoire volcanologique, leurs capacités sont limitées. Et les pouvoirs publics ne mesurent pas toujours le risque volcanique comme prioritaire.
« Pourtant, 14 ans après la dernière éruption du volcan, il y a toujours des conséquences visibles. La chaussée en bien des endroits n’a par exemple pas été refaite, ce qui a évidemment un impact sur le fonctionnement de l’économie » déplore François Kervyn.
Quant à Bukavu, zone sujette aux glissements de terrain, les autorités ne conçoivent pas toujours l’ampleur du problème. Freinant la prise de dispositions appropriées.
« Jamais les glissements de terrain affectant la ville n’avaient encore été cartographiés. Alors que notre étude a mis en évidence que 30 % de la superficie de Bukavu reposent sur des pentes potentiellement instables. Et ce en raison du boom démographique dans la région sans qu’aucun plan urbanistique n’ait été mise en place ».
Un aléa sismique plus élevé que prévu
L’Université de Liège a également travaillé sur les glissements de terrain. En réalisant des mesures géophysiques dans le sous-sol de Bujumbura, la capitale du Burundi.
« Au Burundi, et c’est la même chose pour l’ensemble de la région étudiée, les glissements de terrain sont multi-sites. Car ce ne sont pas tant les séismes qui les causent, mais plutôt les conditions climatiques. Comme il y a de fortes précipitations durant la saison des pluies, des glissements de terrain peuvent être observés partout » expose Hans-Balder Havenith, ingénieur géologue à l’ULg.
Mais même si la région n’est pas connue pour des séismes de grandes ampleurs, leurs recherches ont permis de revoir l’aléa sismique à la hausse. Notamment pour la ville de Bukavu.
La formation essentielle des locaux
Ces cartes et logiciels représentent des outils précieux. « Mais encore faut-il que les autorités se les approprient vraiment. Un important travail de sensibilisation reste à faire » signale François Kervyn.
Selon Hans-Balder Havenith, au-delà de ces outils, il est tout aussi important de former des scientifiques sur place :
« Il est possible de prévoir les glissements de terrain car il y a des signes avant-coureurs visibles. Mais il faut pouvoir les observer sur place » précise-t-il. « En développant leur expertise, les scientifiques locaux pourront repérer eux-mêmes les fractures visibles mettant en danger leurs habitations et écoles. Améliorer leur formation est selon moi essentielle » conclut l’ingénieur géologue.