Cendre sur plant d'aubergine à la Palma © P. Delmelle / UCLouvain

Des cultures adaptées à l’aléa volcanique

1 mars 2022
par Camille Stassart
Temps de lecture : 6 minutes

Les sols volcaniques étant particulièrement fertiles, les communautés établies autour des volcans tirent essentiellement leurs revenus du travail de la terre. En cas d’éruption, l’agriculture est dès lors le secteur économique le plus touché. Développer des modèles capables de prédire la vulnérabilité et les impacts sur les cultures est l’objectif des recherches du Pr Pierre Delmelle, chercheur au Earth and Life Institute de l’UCLouvain.

« On estime qu’entre 800 millions et 1 milliard de personnes habitent dans un rayon de 100 kilomètres autour d’un volcan actif ou potentiellement actif. L’enjeu est donc de diminuer la vulnérabilité de ces populations face au risque volcanique, sur lequel on ne peut pas agir, mais aussi d’augmenter leur résilience », résume le chercheur.

Cendre sur bananes aux Philippines © P. Delmelle / UCLouvain

Des éruptions bénéfiques pour la fertilité des sols

La relation entre les volcans et l’agriculture est complexe : les éruptions affectent directement les cultures, et donc les moyens de subsistance des communautés de la région. Mais c’est aussi grâce à elles que les terres y sont si riches.

« Les cendres volcaniques et les coulées de lave produites par les éruptions servent de substrats pour la formation de sols fertiles. Par l’action des pluies et de l’acidité qu’elles contiennent, la cendre et la lave subissent des réactions chimiques qui provoquent la libération de nutriments essentiels à la croissance des plantes, comme le potassium et le phosphore », explique le bioingénieur.

La reprise de l’agriculture après la catastrophe va ainsi permettre aux populations locales de se redresser et de rebondir. Si la formation des sols sur des matériaux volcaniques frais est positive à long terme, le processus peut toutefois être (très) lent. Avant que l’agriculture ne soit à nouveau possible dans la région affectée, en fonction des climats, cela peut prendre des décennies, voire des siècles.

« L’éruption du volcan Cumbre Vieja à La Palma (îles Canaries), qui s’est terminée en décembre 2021, a enseveli sous la lave environ 370 hectares de cultures, surtout des bananiers, et il n’y a rien que l’on puisse faire », rappelle le Pr Delmelle.

« Pour autant, les coulées de lave ont généralement une étendue limitée. Leurs incidences sur l’agriculture restent donc relatives. Lors des éruptions explosives, ce qui peut poser véritablement problème, c’est la dispersion des cendres sur de grandes surfaces du territoire ».

Cendre sur orangers à la Palma © P. Delmelle / UCLouvain

Plus fréquentes, les petites éruptions ont des répercussions colossales

Lorsque les cendres retombent après une éruption, le feuillage des végétaux se couvre d’un dépôt plus ou moins épais, limitant ou empêchant la photosynthèse. Ce qui conduit soit à la mort de la plante, soit à une diminution de sa croissance. Et si les fruits ou les légumes sont déjà développés, les dépôts peuvent détruire totalement ou en partie la récolte.

Dans le cas du Cumbre Vieja, l’éruption n’a pas été très explosive. Et les cendres n’ont pas été dispersées très loin. « Les agriculteurs vont probablement subir des pertes de rendements, mais c’est l’histoire d’une saison », nuance le chercheur.

L’éruption n’aura duré que trois mois. En comparaison, celle du volcan Taal aux Philippines, démarré en janvier 2020 et toujours en cours, cause une tension permanente chez les agriculteurs. Même constat pour les paysans vivant autour du volcan Tungurahua, en Equateur, qui auront connu pendant 17 ans des événements éruptifs à répétition, de 1999 à 2016.

« Les grandes éruptions où les cultures sont complètement ensevelies sous d’épais dépôts de cendres sont assez rares. Souvent, les éruptions sont plus petites, mais aussi plus fréquentes. Et ce sont elles qui impactent le plus le secteur agricole. A chaque explosion, de nouvelles cendres vont tapisser les cultures. Et c’est à chaque fois un petit coup de massue supplémentaire sur les communautés agraires de la région. »

Afin de les aider, Pierre Delmelle cherche à développer des modèles pour prédire les impacts de ces retombées de cendres sur les cultures.

Cendre sur feuilles d’avocatier à la Palma  © P. Delmelle / UCLouvain

La vulnérabilité des cultures à la carte

Pour l’heure, il n’existe aucun modèle prédictif de ce type. « Il y a très peu de recherches à l’interface de l’agronomie et de la volcanologie, nous faisons figure de pionniers dans le domaine. Enormément de choses sont encore à réaliser et à comprendre. »

Jusqu’à récemment, le pourcentage de rendement perdu lorsqu’une culture est exposée à la cendre était estimé à partir de l’épaisseur du dépôt. « On a toutefois constaté lors d’entretiens avec des agriculteurs du Tungurahua que ce facteur n’est vraisemblablement pas le plus important. Ce qui semble déterminant, c’est la granulométrie du dépôt. Plus les cendres sont fines, plus le pouvoir de couverture sur la feuille d’une plante est grand.»

Aujourd’hui, les volcanologues sont en mesure de prévoir, sur base de scénarios d’éruption, la distribution et la granulométrie des retombées de cendres autour d’un volcan. « Et nous cherchons à superposer, sur ces cartes de distribution d’épaisseur et de granulométrie des dépôts, des cartes de vulnérabilité des cultures.»

Car toutes les plantes ne sont pas exposées au même risque. « Les plants de riz, qui présentent des feuilles fines et allongées, sont moins vulnérables que ceux de pommes de terre. Les plants de tomates, qui ont des feuilles velues, vont retenir davantage de cendres que ceux de piments, aux feuilles lisses », précise le chercheur.

Le stade de développement de la plante joue également un rôle. « Si celle-ci est en fleurs lors de l’éruption, la fructification sera sans doute entravée. Dans ce cas, la récolte sera totalement perdue. »

A terme, l’idée sera de fournir aux agriculteurs des cartes de vulnérabilité qui leur permettront d’élaborer des stratégies. « En adaptant un peu les pratiques, on pourrait réduire la vulnérabilité des exploitants », conclut le Pr Delmelle.

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