Eléphants de mer © Mike's Birds from Riverside, CA, US

Conserver le gras des éléphants de mer pour révéler les pollutions marines

1 juillet 2021
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Mers et océans sont de plus en plus pollués. Les prélèvements de sang et de tissus révèlent que de nombreuses espèces de mammifères marins sont contaminées par des substances toxiques. Pour parvenir à déterminer l’effet de ces molécules sur la santé des animaux, les scientifiques mènent des expériences in vitro, en cultivant leurs tissus adipeux, soit la couche de gras qui les recouvre. Mais une fois prélevés, ceux-ci s’altèrent rapidement. Dans l’optique d’allonger leur durée de conservation, la professeure Cathy Debier de l’UCLouvain et ses collègues ont développé une méthode innovante.

Colonie d’éléphants de mer du site Año Nuevo State Park © National Marine Fisheries Service Marine Mammal Permit #19108

La faune marine en culture

Diverses études ont établi des corrélations entre maladies touchant les mammifères marins et présence de polluants. « Chez les Bélugas du Saint-Laurent, par exemple, les individus les plus contaminés sont aussi ceux qui présentent le plus de tumeurs cancéreuses », informe la Pre Debier, chercheuse au Louvain Institute of Biomolecular Science and Technology. Pour aller plus loin et démontrer un véritable lien de cause à effet, les biologistes ont besoin de mener des expériences supplémentaires.

« Étant donné qu’il n’est pas question de procéder à des tests directement sur l’animal sauvage, on réalise des cultures de tissus adipeux in vitro », explique la scientifique. Pour ce faire, les chercheurs capturent puis anesthésient totalement l’animal sur le terrain. Ils pratiquent alors, toujours sur place, une biopsie, en prélevant une carotte de 6 mm de diamètre et de plusieurs centimètres de profondeur, jusqu’à atteindre le muscle. « Au bout de quelques jours, on ne voit plus de trace de la biopsie », précise la chercheuse.

La carotte est ensuite placée en milieu de culture stérile, en vue de l’étudier en laboratoire. « L’intérêt est d’analyser l’impact de l’exposition à certains contaminants que l’on trouve dans les océans, comme les plastiques, mais aussi les polluants organiques persistants, qui ont la particularité de s’accumuler dans les tissus adipeux des animaux marins. »

Jusqu’à présent, les scientifiques ne parvenaient pas à garder l’échantillon vivant au-delà de quelques heures. Grâce à la technique imaginée par la professeure Debier et ses collègues belges et américains, il est désormais possible de le conserver durant plusieurs jours. Améliorant grandement le délai pour effectuer des expériences.

Cathy Debier réalise un prélèvement sur un éléphant de mer sur le site Año Nuevo State Park © National Marine Fisheries Service Marine

De la moelle épinière de rat aux tissus adipeux d’éléphant de mer

La solution proposée consiste à trancher les prélèvements très finement, et de manière très nette. « Mon collègue, Jean-François Rees, qui est aussi co-auteur de l’article, avait l’habitude d’échantillonner avec grande précision, dans le cadre de ses recherches, des tranches de foie et de cerveau de poissons. On s’est dit qu’il serait intéressant d’essayer cette méthode sur du tissu adipeux de mammifères marins – chose que personne n’avait jamais pensé à faire – afin de le préserver sur une plus longue période », indique la bioingénieure.

« Couper le tissu en tranches très fines de la même épaisseur permet, en effet, de garder une bonne diffusion d’oxygène et des nutriments au sein de l’échantillon, et donc de le conserver vivant et fonctionnel plus longtemps », précise-t-elle encore.

Les scientifiques ont testé divers instruments, et l’appareil le plus efficace était un petit outil portable, bon marché et facile à utiliser, initialement conçu pour réaliser de fines tranches de moelle épinière de rat.

« A l’époque, en 2018, il était prévu que je me rende à Université de Californie à Santa Cruz, aux États-Unis, pour étudier les éléphants de mer, dans le cadre d’un séjour de recherche, soutenu par le FNRS. J’ai donc emporté avec moi cet outil dans l’objectif de l’exploiter pour développer une méthode. »

Appareil de découpe utilisé © Cathy Debier / UCLouvain

 

Appareil de découpe utilisé © Cathy Debier/UCLouvain

 

Un outil d’ores et déjà employé dans la recherche

Durant plusieurs mois, la Pre Debier a donc mené des tests en collaboration avec l’Université de Californie à Santa Cruz, ainsi qu’avec la Sonoma State University (États-Unis). Résultat ? Les tranches de 1 mm d’épaisseur, découpées avec précision et mises en culture à 37 ° C restent vivantes et fonctionnelles pendant au moins 63 heures, contre 24 heures quand le tissu est tranché de manière aléatoire.

« Nous avons, depuis la publication de l’étude, fait d’autres investigations qui montrent qu’on peut garder les tanches vivantes et fonctionnelles plus longtemps encore », mentionne la chercheuse.

« Cet outil est actuellement exploité par Laura Pirard, une doctorante dont je supervise la thèse. Pour le moment, on a exposé les tranches de tissu à des hormones de stress (cortisol et adrénaline), et on voit que cela induit toute une série de modifications au niveau de l’expression des gènes », révèle la Pre Debier.

Cette nouvelle approche in vitro facilite l’étude des effets des polluants sur les éléphants de mer. « Et il est tout à fait envisageable d’appliquer cette méthode sur les tissus adipeux d’autres mammifères marins, comme les cétacés, de différentes espèces de phoques, et même d’ours polaires », conclut la Pre Debier.

 

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