Les commémorations de 14-18 : des mémoires asymétriques

1 août 2014
Par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 5 min

Le 4 août marque cette année le centième anniversaire de l’entrée en guerre de la Belgique. Ce jour-là, en 1914, à 8 heures du matin, les troupes allemandes envahissent le pays et se dirigent vers Liège. Quatre années de souffrances inouïes vont suivre, tant civiles que militaires.

 

Quels souvenirs ce conflit monstrueux laisse-t-il aujourd’hui dans les mémoires? Et comment ces mémoires se sont-elles construites ? Comment se transmettent-elles ? Comment évoluent-elles? Voilà quelques-unes des questions auxquelles plusieurs équipes universitaires belges vont tenter de répondre au fil des commémorations qui vont émailler les quatre prochaines années.

 

Des conflits de mémoire liés aux identités « sous-nationales »

 

« La Première Guerre est un événement fondateur du 20e siècle », rappelle le Pr Olivier Klein, du Centre de recherche en psychologie sociale et inter-culturelle de l’Université Libre de Bruxelles (ULB). « Elle a aussi laissé une empreinte très forte dans l’Histoire et dans les mémoires. Nous nous y intéressons parce qu’il y a eu des conflits de mémoire en Belgique. Des conflits de mémoire liés notamment aux identités « sous-nationales » dans le pays ».

 

L’étude MEMEX WWI, acronyme de « Reconnaissance et ressentiment: expériences et mémoires de la Grande Guerre en Belgique », est soutenue par la Politique Scientifique fédérale dans le cadre de son programme Brain-be.

 

Elle est coordonnée par l’historienne Laurence Van Ypersele, Chercheur qualifié du Fonds de la Recherche Scientifique (F.R.S.-FNRS)  à l’Université Catholique de Louvain (UCL). Ce projet inclut également des chercheurs issus des universités de Bruxelles (ULB), de Gand (UGent) et de Leuven (KUL) ainsi que du Centre d’études Guerre & Sociétés contemporaines (CEGESOMA).

 

 La balle est passée dans le camp des Communautés et des Régions

 

« Nous faisons l’hypothèse que ces différentes mémoires ne sont pas uniquement un résidu du passé mais qu’elles permettent également d’appréhender la manière dont on voit le futur et celle dont on envisage le présent », précise le Dr Olivier Klein (ULB). « Ce qui très intéressant, c’est que depuis 1918, la structure politique a énormément changé. Un siècle après le début de la Première Guerre mondiale, ce sont les Régions et les Communautés qui sont aux commandes des commémorations », précise le scientifique.

 

Pour mieux cerner ces mémoires multiples, les chercheurs vont s’intéresser à la presse relatant ces événements. Ils vont aussi mener l’enquête auprès du public. Ils étudieront le vécu émotionnel des militaires belges au combat à travers leurs lettres et journaux.

 

L’Union européenne ? La grande absente !

 

Etrangement, l’Union européenne est particulièrement absente de ces commémorations. Pourquoi ? « Il y a eu des appels mais on a dit que ça devait venir des Etats », expliquait le Dr Laurence Van Ypersele, dans un article de « La Libre » parut en début de l’année. « Ils considèrent que l’an zéro de l’Europe, c’est 1947. La Deuxième Guerre mondiale fut sa matrice, la Première, c’est la super-préhistoire ». Un souci ? « L’Union ne fait rien alors qu’elle aurait pu s’affirmer. C’était une guerre des nations et on s’en ré-empare pour redire la nation mais aussi la sous-nation. Cela pose problème chez nous, en Grande-Bretagne, etc. » indiquait-elle encore.

 

 Cap sur des commémorations multiples

 

Le nombre important de commémorations programmées en Belgique atteste sans aucun doute de la volonté de se rappeler cette tranche particulièrement noire de notre Histoire mais aussi du morcèlement de la mémoire.

 

Il est difficile ici de relayer toutes les initiatives. Tentons un rapide tour d’horizon.

 

  • * L’Académie royale des Science propose un ouvrage documenté sur cette période de notre histoire. Richement illustré, ce livre raconte notamment, au fil de ses 300 pages, comment des milliers de monuments ont été imaginés, pensés, réalisés (ou non), financés et perçus par tous les niveaux de pouvoir mais aussi par les artistes et la population.
  • * Sur les antennes de la radio et de la télévision, les émissions, les reportages, les « spéciales » exploitent à l’envi archives, témoignages et objets d’époques. La RTBF, qui depuis un an a renoué avec un rendez-vous quotidien dédié à l’Histoire en radio (de 13h30 à 14 heures sur La Première), propose en complément un site web spécialement consacré à cette période, tant en ce qui concerne les civils que les opérations militaires.
  • * La Fédération Wallonie-Bruxelles propose un site intitulé « La Belgique et la Guerre ». Le Pr Laurence Van Ypersele (UCL) y a étroitement collaboré.
  • * L’Etat Fédéral propose un site web recensant notamment les cérémonies au programme, les expositions, les publications et l’agenda d’autres activités liées aux commémorations.
  • * Pointons aussi une initiative du Parlement fédéral. Le Sénat propose une brochure et des visites sur le thème « Le Parlement pendant l’occupation ».
  • * Enfin, au niveau fédéral toujours, « The Belgian War Press » nous emmène dans l’univers de centaines de journaux belges qui ont été rédigés, imprimés et diffusés dans le plus grand secret pendant les deux guerres mondiales. Ces journaux ont été numérisés à l’initiative du CEGESOMA, grâce à un financement de la Politique scientifique fédérale. Nul doute que cette initiative intéressera aussi les partenaires du projet MEMEX WWI !
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