Comme chaque année depuis 60 ans, la machine à remonter le temps tourne à plein régime à Han-sur-Lesse. Pendant trois semaines, l’aspirateur à sédiments utilisé pour les fouilles archéologiques subaquatiques annuelles crache son lot de découvertes. La rivière livre des pointes de flèche, des restes de céramiques, des ossements d’animaux, des pièces en métal, des objets en pierre façonnés par les anciens occupants du Trou de Han.
« Ce porche d’où surgit la Lesse et qui donne accès à la grotte aujourd’hui touristique a été occupé à de multiples époques de l’histoire de l’Humanité », explique Christophe Delaere, un des archéologues du CRAF, le Centre de recherches archéologiques fluviales, qui codirige les fouilles. Il est un des spécialistes belges de la plongée archéologique. On lui doit notamment des découvertes dans les eaux du lac Titicaca, au Pérou.
Une occupation qui remonte au Mésolithique
« À Han-sur-Lesse, on retrouve des traces du passage de l’Homme depuis au moins le Mésolithique, il y a 10.000 ans », précise-t-il. Certains objets en pierre témoignent de l’établissement des chasseurs-cueilleurs en bord de Lesse. Depuis, le site n’a cessé d’être visité. Premières populations sédentarisées, Gaulois, Romains et bien d’autres ont également fréquenté les lieux.
Dans l’eau, la campagne de fouilles bat son plein. Les plongeurs s’activent autour de deux radeaux. L’un comprend le fameux aspirateur à sédiments. L’autre remonte des blocs de pierre immergés plus volumineux. Ils ne présentent pas nécessairement beaucoup d’intérêt scientifique. « Ces gros blocs se sont détachés de la voûte de la grotte et bloquent l’accès aux précieux sédiments sous-jacents du lit de la Lesse », précise l’archéologue. Sur les berges, une dizaine de personnes est mobilisée pour cette campagne.
De la rivière au musée
« Vous voyez les bulles, là ? C’est le plongeur qui travaille à quelques mètres sous la surface. Il manipule l’aspirateur à sédiments. Nous fouillons une zone clairement balisée de deux mètres sur deux.»
« Malgré la grande turbidité de l’eau, il récupère, s’il les voit, les objets de plus de 10 centimètres à la main. Et il aspire le reste avec les sédiments. Ce matériel est envoyé en surface et arrive sur le radeau. Le passeur transporte alors à terre les seaux avec le produit de cette pêche. Tout est filtré, tamisé. Les objets sont ensuite envoyés à la plaque de tri. On isole les ossements, la céramique, les autres objets intéressants. Place ensuite au conditionnement, à l’inventaire, à la photo, au traitement, puis aux opérations de conservation préventive, et enfin, aux analyses scientifiques et au musée. »
Pointes de flèches et fibule à chaînette
La pêche est bonne cette année. Trois pointes de flèche ont été remontées la veille. « L’une d’elles est très belle », commente Michel Timperman, le conservateur des collections archéologiques du PréhistoHan, le musée archéologique local, qui fait partie de la Société des grottes du même nom. « Cette pointe présente de fines encoches. C’est un objet élaboré. »
« En 1997, une pièce assez exceptionnelle a été remontée du lit de la Lesse », se souvient-il. « Une fibule, c’est-à-dire une attache pour vêtement. Fait rarissime, nous avons même retrouvé les fins maillons qui reliaient les deux pans du fermoir ». Cette fibule, baptisée « de La Tène » daterait de 350 ans avant JC. Elle a été découverte à 4,4 m de profondeur, sous plus de 3 mètres de sédiments.
Si la rivière livre des informations précieuses aux archéologues, la grotte elle-même recèle aussi d’indices à ne pas négliger. Voici quelques années, Michel Timperman a fait analyser des traces de charbon retrouvées dans la grotte. Elles attestent du passage de l’homme avec des torches voici quelque 10.000 ans. « Nous sommes alors au Mésolithique, la période qui a précédé le Néolithique », précise Christophe Delaere. Une époque où les premiers chasseurs-cueilleurs sont remontés vers Han, après la dernière glaciation. Elles montrent que ceux-ci faisaient déjà régulièrement des incursions dans la grotte. »
Banquet gaulois
La campagne de fouilles annuelle n’est que le début d’un long processus de recherche. Lequel livre parfois des informations surprenantes.
« Une campagne réussie, c’est quand on récupère du matériel intéressant, qu’on arrive à le décaper, que les relevés sont faits et qu’on arrive à documenter les niveaux en place. C’est cela qui fait la valeur des fouilles », indique l’archéologue Cécile Anseau, du Craf, qui codirige les fouilles avec Christophe Delaere.
« Ici, nous avons de nombreux objets qui sont en connexion. En collectant l’ensemble, si tout est bien enregistré, cela nous permet éventuellement de reconstituer tout un événement », reprend Christophe Delaere.
Un exemple de cette mise en contexte? « Prenons l’âge du Fer », propose-t-il. L’époque des Gaulois. « Nous avons retrouvé des objets qui attestent d’importantes consommations de sangliers et d’autres animaux qui ont été débités. Nous avons aussi des casseroles. Et nous avons également retrouvé des lampes. Cela nous montre qu’une sorte de banquet extérieur suivi d’offrandes gauloises s’est probablement tenu dans la grotte.»
Après 60 ans de fouilles au Trou de Han, que reste-t-il à découvrir dans la rivière ? « Sans doute encore beaucoup de choses », estime l’archéologue. « En 60 ans, nous avons fouillé les sédiments de la Lesse sur une profondeur de quatre mètres. Selon nos estimations, il en reste six de plus à investiguer ». De quoi remonter plus loin encore dans le temps, et par exemple, découvrir des traces néandertaliennes, d’il y a 50.000 ans? « Pourquoi pas », spécule l’archéologue. La région n’est pas avare en restes néandertaliens. Mais n’allons pas trop vite. Nous faisons de l’archéologie, pas de la magie », conclut-il.