Morceau de bois découvert sur le site de fouilles en Zambie © Veerle Rots / TraceoLab / ULiège

Des archéologues découvrent la plus ancienne structure en bois du monde

1 décembre 2023
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 4 min

« Retrouver du bois sur un site de fouilles préhistoriques, c’est toujours rare. Trouver des bois assemblés en une structure, comme cela vient d’être le cas en Zambie, c’est la première fois. Il n’y a pas d’autres exemples connus », explique Pre Veerle Rots, archéologue préhistorienne à l’ULiège. Datée de 476.000 ans, la découverte apporte un nouvel éclairage sur les hominidés précédant notre espèce, Homo sapiens. Et les montre dotés d’une bien plus large cognition technique qu’imaginée.

Des conditions d’enfouissement constantes

Les deux rondins imbriqués l’un dans l’autre et reliés transversalement par une entaille pratiquée intentionnellement ont été mis au jour dans un site de fouilles bien connu des préhistoriens. Dénommé Kalambo Falls, il se situe sur la rivière Kalambo à la frontière entre la Zambie et la Tanzanie, au bord du lac Tanganyika.
Ces bouts de bois sont restés près d’un demi-million d’années enfouis sous la rivière dans un milieu humide dépourvu d’oxygène et de bactéries. « Pour que de la matière organique soit préservée aussi longtemps, il est indispensable qu’elle soit soumise à des conditions environnementales humides et constantes. A la moindre variation, la désintégration du bois débute », explique la directrice du Traceolab.

C’est ainsi que les quelques autres exemples de bois très anciens connus du monde scientifique, des outils de chasse, ont eux aussi été conservés en conditions humides et constantes. Il s’agit notamment des épieux de bois et des bâtons de jet datés de 300.000 ans et retrouvés à Shöningen en Basse-Saxe (Allemagne), analysés en 2020 par l’équipe de Veerle Rots.

Deux morceaux de bois, datés de près d’un demi million d’années, ont été retrouvés interconnectés © Veerle Rots / TraceoLab / ULiège

Les pré-Hommes modernes structuraient déjà leur espace

Parmi les différents morceaux de bois retrouvés sur le site de fouilles zambien – notamment un coin, un bâton de fouille, un tronc coupé et une branche entaillée-, les plus interpellants sont deux rondins connectés par une sorte d’encoche creusée délibérément.

« Comme on n’a que deux morceaux, il est très difficile d’en connaître l’usage. Peut-être était-ce une sorte de sentier en bois ou de plateforme placée à côté de la rivière qui facilitait l’accès surplombant la zone humide. Il est toutefois clair qu’aucun autre exemple n’est connu de par le monde, et qu’il s’agit d’un comportement tout à fait nouveau pour cette période de la Préhistoire », explique la directrice de recherches FNRS à l’ULiège .

« La création d’une structure en bois démontre une capacité à réaliser une sorte de planning d’anticipation. De plus, il y a un demi-million d’années, c’était l’époque des chasseurs-cueilleurs, des gens normalement mobiles. Le fait qu’ils s’investissent à créer des structures – indépendamment de leur fonction – signifie soit qu’ils restaient beaucoup plus longtemps sur place qu’imaginé, soit que cette zone était importante pour eux. Qu’ils y revenaient régulièrement pour, éventuellement, exploiter les ressources autour de la rivière », analyse l’archéologue préhistorienne.

« La construction de structures est un comportement lié ordinairement à l’Homme moderne. Or, nulle part sur la planète, on n’a trouvé des restes d’Hommes modernes datés d’un demi-million d’années. Les plus anciennes traces d’Hommes modernes remontent à 300.000 ans au Maroc et à 200.000 ans pour l’Afrique de l’Est. »

Il y a un demi-million d’années, les hominidés qui foulaient la Terre étaient dès lors des pré-Hommes modernes. « Notre découverte révèle que ce comportement constructeur de structures était là bien avant Homo sapiens. Autrement dit, au niveau de la structuration de l’espace des pré-Hommes modernes, il y avait plus d’investissement que ce qu’on croyait auparavant. »

Datation par luminescence

La structure en bois a été datée à 476.000 ± 23.000 ans. Il s’agit en réalité de l’âge des sédiments qui la recouvraient. En effet, les chercheurs ont utilisé deux techniques de datation par luminescence, qui ont donné des résultats similaires.

« Lorsque les grains de quartz et de feldspath sont exposés au soleil, leur horloge interne est remise à zéro. Mais lorsqu’ils sont enterrés, ils accumulent un signal qui peut être mesuré. Sur base de ce signal et d’autres éléments, il est possible de calculer à quel moment ils ont été déposés. Cela nous donne la date du dépôt du sédiment. » Par extrapolation, les bois qu’il a recouverts doivent être au moins aussi âgés.

Cette technique exige de prélever les échantillons de nuit, pour éviter toute exposition au soleil qui anéantirait le signal à mesurer. Et de les placer dans des tubes particuliers.

La découverte a été menée par un consortium de scientifiques issus de l’Université de Liverpool, de l’Université d’Aberystwyth et de l’Université de Liège.

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