Pollution minière et cerveau, une relation toxique

2 août 2021
par Camille Stassart
Durée de lecture : 4 min

La province du Katanga, en République démocratique du Congo (RDC), est connue pour abriter de très riches gisements de cobalt et de cuivre, mais aussi de zinc, d’étain, de fer, de radium, ou encore d’uranium. Depuis des décennies, des sociétés exploitent les mines de la région. Le plus souvent au détriment de l’environnement. En plus de cette pollution minière importante, des traces d’arsenic, de plomb et de mercure souillent le milieu. La population est ainsi exposée en permanence à diverses contaminations, dont les effets demeurent méconnus voire inconnus.

Améliorer la prise en charge des habitants est l’objectif du projet ARES de coopération au développement coordonnée depuis 2017 par l’UMons, en collaboration avec l’Université de Lubumbashi, la KU Leuven et l’UCLouvain.

Des « cocktails » de métaux peu étudiés

« L’exposition chronique ou aigüe à un métal va perturber le fonctionnement des cellules : soit elles mourront, soit elles ne fonctionneront plus correctement, quel que soit l’organe. L’effet le plus connu est la neuropathie, des affections atteignant le système nerveux, qui se manifestent par des engourdissements dans les membres, de l’insensibilité, des douleurs, etc. », rappelle la Pre Laurence Ris, cheffe du service de Neurosciences de l’UMons, et responsable belge du projet.

« Néanmoins, nous ignorons encore quelles conséquences neurotoxiques peuvent avoir l’exposition à plusieurs métaux en même temps, car les effets « cocktails » ont été peu explorés. Les études sur la toxicité des métaux sont essentiellement des monographies portant chacune sur une seule substance en particulier », note la neuroscientifique.

Établir des liens entre la pollution aux métaux et les troubles neurologiques au sein de la population du Katanga est l’un des intérêts du projet. En parallèle, les partenaires s’attellent à développer une unité de référence pour le diagnostic neurologique et psychiatrique, et à former des professionnels de la santé.
« L’impact de ces contaminations n’avait encore jamais été répertorié au Katanga, faute de moyens.

Avant le lancement du projet, Lubumbashi ne comptait qu’un seul neuropsychiatre pour 2 millions d’habitants. Et celui-ci ne disposait d’aucun instrument pour étudier les pathologies neurologiques », informe la chercheuse. Aujourd’hui, l’hôpital dispose de matériels, deux médecins en neuropsychiatrie ont rejoint le premier, et deux autres vont encore être formés.

Neuropathies et déficits cognitifs, des symptômes révélateurs

Pour déterminer les effets neurotoxiques de l’exposition aux mélanges de métaux, les scientifiques ont tenté d’établir, via deux études, des liens entre la présence de métaux dans la zone étudiée, leur présence dans l’urine et/ou le sang des participants, et différents symptômes.

L’une a tenté de démontrer une corrélation entre l’exposition aux métaux et l’apparition de neuropathies périphériques chez 50 adultes diabétiques et 50 non-diabétiques. Le but : distinguer les effets spécifiques de l’intoxication aux métaux d’autres problèmes de santé qui seraient mal pris en charge. « Le diabète, en l’occurrence, peut conduire à des neuropathies quand il est mal traité. Ce qui arrive souvent dans les pays africains », précise la responsable du projet.

Quant à l’autre recherche, elle s’est intéressée au lien entre exposition aux métaux et apparition de troubles neurosensoriels et neurocognitifs auprès d’environ 80 enfants, a priori en bonne santé.

Les résultats préliminaires montrent un lien statistique entre les neuropathies périphériques et les taux de métaux présents dans l’organisme des adultes. « Concernant les enfants, nous avons aussi noté des corrélations entre la présence de certains métaux et un déficit du développement cognitif », déclare la Pre Ris. « Ces résultats doivent toutefois encore être corroborés par d’autres études, réunissant davantage de participants. »

Les plantes médicinales comme piste thérapeutique ?

Une autre conclusion, plus étonnante, révèle que la population est moins touchée qu’on ne pourrait s’y attendre. « Au vu des taux élevés de métaux dans l’environnement, ainsi que dans le sang et les urines de la population, nos modèles prédisaient un impact sanitaire beaucoup plus inquiétant », signale la Pre Ris. « Une de nos hypothèses est que certaines plantes, consommées dans l’alimentation ou prescrites par des guérisseurs, capteraient ces métaux dans l’organisme, et donc réduiraient l’exposition finale des habitants. »

Les scientifiques étudient en ce moment les possibles effets bénéfiques d’une série de plantes utilisées comme traitements chez les patients souffrant de troubles neuropathiques et neuropsychiatriques. « Nous avons recensé les plantes vendues sur les marchés, déterminé leur origine, et questionné les tradipraticiens sur les plantes recommandées en cas de picotements, d’engourdissements, de douleurs, etc. Et nous allons maintenant étudier la capacité de ces plantes à chélater les métaux, c’est-à-dire à produire des substances qui empêcheraient les métaux d’être actifs au sein de l’organisme du consommateur. »

Outre l’amélioration de la prise en charge des patients, les chercheurs espèrent proposer, d’ici la fin du projet, des pistes de traitements et de prévention des maladies associées à l’intoxication aux métaux.

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