Le sexe influence notre immunité face aux pathogènes

3 février 2021
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Le patient-type hospitalisé pour cause de Covid-19 est âgé de plus de 60 ans, souvent en surpoids, et de sexe masculin. D’après une récente méta-analyse de plus de 3 millions de cas, les hommes ont en effet 3 fois plus de risque que les femmes de développer des complications nécessitant des soins intensifs.

Pour Maud Deny, doctorante en biologie médicale au Laboratoire de pédiatrie de l’ULB , cela n’est pas surprenant : « Depuis plusieurs dizaines d’années, nous savons que les individus de sexe masculin ont moins de chances de survie quand ils sont atteints d’un pathogène. Que ce soit un virus, une bactérie, un parasite, ou encore un champignon. Mais la raison n’est pas encore clairement établie. » Comprendre comment le sexe influence la réponse immunitaire de l’organisme est l’objectif de sa thèse.

Le chromosome X pèse sur la réponse immunitaire

« Les hommes présentent plus de complications lorsqu’ils sont atteints de maladies inflammatoires aigües liées à des pathogènes, tels que le virus SARS-CoV-2. Quant aux femmes, elles sont plus vulnérables aux maladies inflammatoires chroniques, aux maladies auto-immunes (sclérose en plaques, diabète de type 1, etc.) », précise la chercheuse.

Elle fait l’hypothèse que cette disparité serait liée à nos différents chromosomes sexuels (XY pour les hommes, XX pour les femmes).

Des études cliniques réalisées à l’ULB sur des patientes atteintes du syndrome de Turner (des femmes présentant un seul chromosome X) ont montré que leur réponse immunitaire se rapprochait de celle des hommes. D’autres recherches sur le syndrome de Klinefelter (des hommes présentant deux chromosomes X et un Y) ont, de leur côté, mis en évidence que ces patients étaient plus susceptibles de développer des maladies inflammatoires chroniques, comme les femmes. « Avoir un ou deux chromosomes X aurait un impact sur la réaction inflammatoire, et donc sur la réponse immunitaire », énonce la scientifique.

Les microARNs des femmes seraient dérégulés

Dans sa thèse, Maud Deny étudie plus spécifiquement l’influence d’un type d’ARN codé par le chromosome X : les microARNs.

Pour rappel, toutes nos cellules contiennent de l’ADN, composé de dizaines de milliers de gènes. Ces derniers dictent à la cellule de fabriquer, ou non, telles ou telles protéines. Entre les deux (ADN et protéines), on retrouve l’ARN messager, une molécule qui joue les intermédiaires. Les microARNs, en particulier, ont pour mission d’empêcher les gènes de s’exprimer en se liant à cet intermédiaire, inhibant ainsi la production de protéines particulières. Ils jouent un rôle de régulateur dans l’expression des gènes.

« Dans la réponse immunitaire, leur fonction est très importante. Les microARNs vont effectivement réguler l’expression de plusieurs gènes impliqués dans le développement et la régulation de l’immunité. Les femmes pourraient dès lors présenter des dérégulations de ces microARNs, entraînant des différences dans les défenses de notre corps face aux pathogènes », informe la chercheuse.

Afin de vérifier cette idée, la doctorante analyse actuellement deux maladies inflammatoires pulmonaires : un modèle expérimental aigu, à savoir l’infection au streptocoque de groupe B ; et un modèle chronique, la mucoviscidose.

Les premiers résultats indiquent qu’il existe bien des différences dans les réactions inflammatoires. « Elles se révèlent plus intenses et destructrices chez les hommes dans le modèle aigu. Alors que dans le modèle chronique, l’inflammation touche plus sévèrement les filles », note la scientifique. « Lorsque nous analysons l’expression de certains microARNs impliqués dans la régulation de la réponse inflammatoire, on observe des variations entre les sexes.»

Lutter contre les biais sexuels pour combattre les infections

En parallèle à ces travaux, Maud Deny et ses collègues ont débuté une étude sur les disparités homme-femme dans le cadre d’une autre maladie inflammatoire pulmonaire : la Covid-19. La chercheuse envisage des résultats d’ici quelques mois qui, elle l’espère, permettront de mieux prendre en charge, voire de traiter, les patients Covid selon leur sexe.

« L’intérêt pratique de mes recherches est de réduire les biais sexuels dans les soins médicaux ». Des biais qui nuisent le plus souvent à la santé des femmes. « Jusqu’à la fin des années 90, la recherche médicale a, en effet, écarté les femmes des études cliniques afin d’éviter d’exposer un éventuel fœtus à des risques pharmacologiques. De nombreuses pathologies et médicaments ont été étudiés durant des années sur base d’essais exclusivement masculins », rappelle Maud Deny.

Et même si les institutions politiques et scientifiques ont aujourd’hui revu leurs règles, les conséquences perdurent. À titre d’exemple, les maladies cardiovasculaires, et plus spécifiquement les infarctus, se manifestent différemment que l’on soit un homme ou une femme. Pourtant, les symptômes féminins (douleurs dans le haut du dos, la mâchoire ou le cou, fatigue, sueurs et troubles digestifs, essoufflement, angoisse) sont encore aujourd’hui nettement moins connus que les signaux masculins (douleur dans la poitrine irradiant le bras gauche et la mâchoire). Ce qui a pour effet de retarder la prise en charge des femmes, et donc de réduire leurs chances de survie.

« Les études comme la mienne mettent en lumière l’importance de tenir compte du sexe du patient lors de sa prise en charge et de son traitement, au même titre que son âge ou ses antécédents », conclut Maud Deny.

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