Le dilemme de l’expérimentation animale, du labo à la scène

3 mars 2020
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 4 min

Réunissant auteur et chercheur pour faire émerger une œuvre artistique, le projet français binôme en est à sa dixième édition. Pour la première fois, il met à l’honneur une chercheuse et un projet de recherche issus de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La Dre Sophie Laguesse, chercheuse au GIGA-Neurosciences (ULiège), consacre ses recherches à l’addiction à l’alcool et plus précisément à l’étude des effets de l’alcool sur la maturation du cerveau adolescent.

L’expérimentation animale sous les feux des projecteurs

De sa rencontre avec Hakim Bah, auteur d’origine guinéenne, est née la pièce de théâtre « Dislocation cervicale », portée par la compagnie française Les Sens des mots. Le titre fait référence à la technique employée pour tuer les souris de laboratoire.

Si les recherches menées par Sophie Laguesse sur l’addiction à l’alcool sont traitées en clin d’œil tout au long de la pièce, le véritable sujet de cette dernière, c’est le ressenti du chercheur face à l’expérimentation animale.

« Il y a deux personnages. Une scientifique dure et froide, considérant les souris de laboratoire comme des objets et pour qui seules importent les publications scientifiques. L’autre personnage à un rapport différent par rapport à l’expérimentation animale. Empathique et sensible, il émet des doute quant à l’utilisation des animaux et trouve qu’on ne devrait pas tuer les animaux. En lisant la pièce, je me suis retrouvée dans ces deux personnages. Ce sont les deux facettes de ma personnalité. Ce fut un choc, je ne m’attendais pas à cela », explique Dre Sophie Laguesse.

La chercheuse Dre Sophie Laguesse et l’auteur Hakim Bah lors de leur rencontre filmée © Jean-Louis Wertz / ULiège

La recherche, un monde à part

Avant la représentation théâtrale, une vidéo d’une quinzaine de minutes montre la rencontre entre l’artiste et la chercheuse, pendant laquelle elle explique ses recherches. « Cet échange m’a fait réaliser l’étrangeté de mon travail et des termes de laboratoire utilisés au quotidien. »

Après la pièce, d’une durée de 30 minutes, une autre vidéo révèle la réaction de la chercheuse sur l’œuvre artistique qu’elle a inspirée.

« Auteur et chercheur viennent ensuite sur scène pour répondre aux questions du public. C’est cet apport complet qui rend le concept ‘binôme’ vraiment intéressant. J’ai tout de suite été séduite par le projet et j’ai accepté de participer sans aucune hésitation. Vulgariser son travail, l’expliquer au grand public, ce n’est certes pas facile, mais c’est tellement enrichissant», poursuit Sophie Laguesse.

Lorsqu’on lui parle de ses recherches, elle considère que les résultats de celles-ci ne doivent pas s’arrêter sur la paillasse du laboratoire. Faire de la prévention, expliquer au plus grand nombre les effets désastreux de la consommation d’alcool durant l’adolescence, fait partie de son devoir de scientifique.

Pas directement valorisable dans le cursus académique

Cette valorisation originale de la recherche et de ses résultats est-elle valorisable dans le cursus académique ? « Pas directement. Par contre, cela a fait du bruit au CHU de Liège où je travaille. En juin 2019, j’ai été élue chercheuse du mois. De nombreuses sollicitations ont suivi. Habitant Spa, j’ai ensuite été élue spadoise de l’année. La ville a proposé de faire venir la pièce au festival de Spa en août 2020. Cela fait connaître ma recherche au grand public. Et cela m’est cher », ajoute-t-elle.

L’art ne nourrit pas la science

Cette interaction entre chercheur et artiste peut-elle faire avancer la recherche scientifique ? Développer l’imagination du chercheur, le faisant plus facilement emprunter des chemins de traverse ? Comme la plupart des scientifiques, Sophie Laguesse pense que les sciences peuvent nourrir la création artistique, mais pas l’inverse. Par contre, les œuvres d’art sont de formidables outils de communication et de vulgarisation de la recherche scientifique.

Après le festival d’Avignon le 17 juillet dernier, la prochaine représentation de ‘Dislocation cervicale’ aura lieu le 26 mars 2020 à la Cité Miroir à Liège.

 

Haut depage