L'Ophiure Amphiura filiformis émettant de la bioluminescence © Jérôme Mallefet

Les étoiles ne brillent pas que dans le ciel

3 septembre 2024
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 6 minutes

Série : Sea, research & sun (5/6)

Sous la surface des mers, il existe des animaux qui émettent de la lumière dans le spectre du visible. On parle de bioluminescence. Pour avoir lieu, la réaction lumineuse requiert une enzyme, jouant le rôle de moteur, et une molécule particulière, appelée coelentérazine, servant de carburant. Chez l’Ophiure Amphiura filiformis, une espèce d’étoile de mer retrouvée en abondance dans un fjord en Suède, cette molécule est fournie par son régime alimentaire. « Mon projet de recherche vise à caractériser ce phénomène d’acquisition trophique », explique Constance Coubris, doctorante au sein du laboratoire de Biologie marine dirigé par le Pr Jérôme Mallefet (UCLouvain).

L’Ophiure Amphiura filiformis © Constance Coubris

Pas de variations saisonnières

Par quarante mètres de profondeur, non loin de la Station marine de Kristineberg, en Suède, des centaines de petits bras sont tendus au-dessus du sédiment meuble. Chaque Ophiure possède cinq de ces appendices qui lui permettent de capturer le zooplancton dont elle se régale. Et qui lui fournit la coelentérazine, molécule indispensable à sa bioluminescence. La partie centrale du corps de l’Ophiure, en forme de disque, est quant à elle enfoncée dans la vase.

Pour récolter ces organismes, une benne dotée de grandes mâchoires est téléguidée depuis le pont d’un bateau. Et s’en va récupérer une carotte de vase dans laquelle ils vivent. A partir d’août 2021, une fois la crise Covid terminée, Constance Coubris est partie tous les trois mois, soit à chaque saison, sur le terrain prélever de la sorte de nouveaux individus. Lors de chaque campagne, elle a mesuré sur place les capacités lumineuses d’au moins 30 Ophiures. Ainsi que la teneur en coelentérazine dans le zooplancton. Et dans ses bagages pour le voyage retour vers Louvain-la-Neuve, elle a emporté 400 nouveaux individus à placer en aquarium afin d’évaluer, en milieu contrôlé, l’évolution des capacités lumineuses à chaque saison. Un travail de fourmi.

« Comme les blooms planctoniques (soit l’augmentation rapide de la concentration en plancton, NDLR) apparaissent de manière saisonnière, on voulait déterminer si le régime alimentaire des Ophiures était modifié au cours de l’année. Et, par extension, si leurs capacités bioluminescentes l’étaient également. Résultats ? A chaque saison, la coelentérazine est présente dans le plancton. Et l’Ophiure l’ayant continuellement à disposition, émet de la lumière toute l’année », explique-t-elle.

« Par contre, quand, au laboratoire, on enlève cette molécule de son régime alimentaire, elle n’émet plus de lumière. Prouvant là son rôle essentiel dans cette bioluminescence. »

Bras d’Ophiures sortant de la vase, dressés pour capturer le zooplancton © Rosenberg
Pour récolter les Ophiures, une benne dotée de grandes mâchoires est téléguidée depuis le pont d’un bateau © Duchatelet
Constance Coubris traite les échantillons de vase contenant les Ophiures, collectés par la benne © DR

Un précieux pécule pour démarrer dans la vie

Au stade larvaire, l’Ophiure n’a pas le même régime alimentaire qu’une fois adulte. Durant ses 4 premières semaines de vie, elle est incapable d’émettre la moindre bioluminescence. Mais à partir du 32e jour, lorsque la larve se métamorphose, elle acquiert des capacités lumineuses.

Cette découverte a été possible, car Constance Coubris a utilisé un protocole permettant la reproduction des individus en aquarium. En analysant les capacités lumineuses des larves produites, elle s’est rendu compte que la coelentérazine, la molécule permettant la bioluminescence, est accumulée dans le sperme et les ovocytes et ainsi transmise à la descendance.

A partir du moment où la larve se transforme en juvénile, elle commence à produire l’enzyme nécessaire à la réaction lumineuse. Grâce au pécule de coelentérazine hérité de ses parents, la voici enfin bioluminescente. Mais la réserve de molécules n’est pas infinie. La jeune Ophiure adulte va pouvoir la renflouer en développant les longs bras qui vont lui permettre d’attraper le zooplancton. Et ainsi acquérir par elle-même la coelentérazine.

Constance Coubris © DR

Le plancton, impacté par le changement climatique

Dans l’environnement, l’Ophiure a un apport continu de coelentérazine. « A l’heure actuelle, il semble qu’elle est fournie par une espèce de cnidaire et une espèce de plancton », explique Constance Coubris.

Cette source, pourrait-elle être menacée par le changement climatique ? « On sait que les communautés planctoniques sont impactées par le changement climatique. Dès lors, le régime alimentaire de l’Ophiure devrait l’être également. Mais pour déterminer si cela aura des conséquences sur ses capacités bioluminescentes, il faudrait faire des suivis sur des dizaines d’années. »

«  De plus, il est nécessaire d’affiner les connaissances sur la fonction de cette bioluminescence. La principale hypothèse est le leurre sacrificiel. Lorsqu’un prédateur attrape un bras de l’Ophiure, celle-ci s’autotomise, c’est-à-dire qu’elle se sectionne un bras, tout en émettant de la lumière. Cela distrait le prédateur, et donne à l’Ophiure le temps de s’enfoncer dans le sédiment et ainsi de s’en protéger. » Elle régénérera ensuite le bras amputé.

« Partant de cette hypothèse, si l’Ophiure devient incapable d’émettre de la lumière suite à une modification de son régime alimentaire causée par le changement climatique, sa vulnérabilité augmentera. Et les stocks pourraient diminuer rapidement », précise la jeune chercheuse qui défendra sa thèse en octobre 2024.

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