Tout comme les doigts d’un musicien, les cordes vocales, ou devrait-on dire les «plis vocaux» sont indispensables pour certaines professions.
Qui dit voix, pense chanteur, mais ils ne sont pas les seuls à user et abuser de cet organe. Face à 25 têtes blondes, voire plus, les professeurs font travailler, plus que de raison, leurs cordes vocales. Et ça passe ou ça casse !
Si on parle régulièrement de nodules, ces petites excroissances qui se développent à la surface des cordes vocales, et qui empêchent certains chanteurs d’assurer leur concert, il est plus rare que l’on nous conte les déboires vocaux d’un professeur qui ne peut donc plus assurer ses cours.
Et pourtant ! Ces derniers sont particulièrement exposés. « C’est en assurant ma consultation de logopède dans le service ORL du CHU de Liège que j’ai constaté que bon nombre des patients qui consultent pour des troubles de la voix sont des enseignants. Une observation qui m’a poussée à m’y intéresser plus en détail », explique Angélique Remacle, Docteur en Sciences psychologiques et de l’éducation, logopède au CHU de Liège et maître de conférences invité à l’Université catholique de Louvain (UCL).
Parmi les patients, 1 travailleur sur 5 est un enseignant
La première partie des recherches de la scientifique réalisées au sein de l’Unité logopédie de la voix à l’Université de Liège (ULg) fut de dénombrer les patients dysphoniques qui travaillent dans l’enseignement.
« Au CHU de Liège, plus d’un travailleur sur cinq qui nous consulte pour un problème de voix est un enseignant. Bien souvent, ils souffrent de nodules des cordes vocales, avec pour conséquences une modification de la voix, une fatigue vocale voire une aphonie. Des travailleurs qui, étonnamment, ne répondent pas toujours aux techniques de rééducation que l’on propose. D’ordinaire, face à une personne qui souffre d’un problème de voix (nodules, œdèmes, troubles fonctionnels, etc.), l’orthophonie corrige et optimalise la technique vocale. Le travail porte sur la respiration, la manière de mettre les cordes vocales en vibration ou encore le placement de la voix ».
Ces exercices permettent généralement d’enrayer ce qu’on appelle le « malmenage vocal».
Le responsable : le surmenage vocal
Le Dr Remacle s’est intéressée, dans la deuxième partie de son étude, au surmenage vocal chez les enseignants. Le patient parle au-delà de ce que ses cordes vocales peuvent supporter. Il parle trop longtemps, trop fort et parfois avec une hauteur tonale trop élevée.
« Pour vérifier cette hypothèse, nous avons réalisé des mesures à l’aide d’un accumulateur de voix (petit capteur de vibrations collé sur le larynx) sur une soixantaine d’enseignantes issus du maternel, du primaire et du secondaire ne souffrant d’aucune pathologie liée à la voix ».
Grâce à cet accumulateur de voix, les chercheurs ont pu identifier plusieurs paramètres impliqués dans le surmenage vocal :
- – la période
- – la durée
- – l’intensité
- – la fréquence (voix aiguë, voix grave)
Des journées de travail fatigantes pour les cordes vocales
L’analyse de la charge vocale sur le lieu de travail et à domicile a clairement démontré qu’enseigner implique une charge vocale importante. Les enseignantes utilisent leur voix deux fois plus à l’école qu’à domicile.
Mais ce n’est pas tout, la manière de parler n’est pas la même lorsqu’elles sont face à une classe ou chez elles :
- – En classe, l’intensité vocale mesurée à 15cm de la bouche est de 80 décibels, contre moins de 75 décibels en dehors.
- – En classe, la fréquence moyenne est d’environ 260 Hz, contre 240 Hz en dehors. La voix est donc plus aigüe durant les périodes de cours.
- – Enfin, l’étude montre qu’au cours d’une journée de travail, les cordes vocales d’une enseignante vibrent plus d’un million de fois contre 500.000 fois à la maison. Ce qui correspond plus ou moins à une distance de… 5 km par jour !
De la maternelle au secondaire
En analysant les résultats plus en détail, les chercheurs ont constaté que les cours ex-cathedra donnés par les enseignants du secondaire semblent être les plus fatigants pour les cordes vocales. Celles-ci vibrent plus de 30% du temps lors d’une leçon classique. Mais les enseignants de maternelle et du primaire ne sont pas en reste.
« Ces derniers ne donnent peut-être pas de cours ex-cathedra mais sont constamment entourés d’élèves : ils assurent la surveillance pendant les récréations et souvent le temps de midi. Leur voix n’a donc pas vraiment l’occasion de se reposer au cours de la journée. Par ailleurs, les enseignants de maternelle – chez qui toute instruction passe par le langage oral, les enfants ne sachant pas encore lire – sont en contact avec des enfants qui ont une voix plus aiguë. Par mimétisme, les enseignants auraient tendance à parler de manière plus aiguë également, ce qui fatigue la voix. »
Une meilleure prise en charge
Ces résultats sont importants à deux titres ! D’une part, ils montrent que, comme on s’y attendait, les cordes vocales des enseignants sont soumises à rude épreuve. D’autre part, ils fournissent des valeurs références pour la prise en charge des enseignants.
« Nous pouvons désormais mesurer la charge vocale d’un enseignant qui ne répond pas aux exercices de rééducation et la comparer avec les valeurs de référence. S’il surmène sa voix, nous pointerons avec lui les moments où il parle trop, trop fort ou trop haut. Enfin, nous prodiguerons des conseils pour réduire sa charge vocale».
Selon les individus, l’acoustique ou la configuration des locaux, les spécialistes de la voix préconiseront l’utilisation d’un micro, quelques aménagements de la classe afin de rapprocher l’enseignant de ses élèves, proposer des temps de repos où on ne parle pas du tout, de ralentir le débit de parole, de veiller à supprimer les bruits de fond…
Qualité de voix et qualité d’apprentissage sont liées
S’il est important pour le bien-être des enseignants qu’ils se protègent du surmenage vocal, cela l’est également pour la qualité des apprentissages.
« La qualité de la voix du pédagogue est intimement liée à la qualité de l’apprentissage: si la voix d’un enseignant est altérée, les élèves éprouveront des difficultés à discriminer et à comprendre le message. Ainsi, les ressources cognitives que les élèves mettent en place pour décrypter la forme du message ne seront plus disponibles pour en comprendre le fond », conclut le Dr Remacle.