Quand les jeunes enfants apprennent une seconde langue

3 octobre 2023
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
« Bilinguisme et apprentissage précoce des langues », par Annick Comblain. Presses Universitaires de Liège. VP 32 euros, VN gratuite

En Fédération Wallonie-Bruxelles, les élèves apprennent une seconde langue au cours de leur scolarité. Depuis 34 ans, Annick Comblain s’investit dans l’étude de l’apprentissage de cette langue chez les jeunes enfants. Aux Presses Universitaires de Liège, dans «Bilinguisme et apprentissage précoce des langues», la professeure à la faculté de psychologie, logopédie et sciences de l’éducation à l’ULiège aborde des questions que se posent les parents. Déconstruit des idées reçues.

«Les interrogations restent nombreuses dans le grand public quant à l’impact de l’apprentissage de deux langues chez le jeune enfant», constate la docteure en logopédie. «Oubliant que dans le monde un nombre important d’enfants est exposé naturellement à deux voire plusieurs langues depuis la naissance sans que cela ne soulève la moindre question.»

Un parent, une langue

Quelle langue, un couple bilingue, devrait-il parler à l’enfant? Pour Annick Comblain, «le bilinguisme est quelque chose de complexe, de dynamique recouvrant des réalités multiples. Dès lors, la réponse qu’on fera à une famille n’est pas nécessairement celle qu’on fera à une autre. Et ce même si les situations semblent similaires. Nous nous contenterons juste d’attirer l’attention sur le concept – un parent, une langue – souvent conseillé. Et mis en avant dans les pratiques éducatives bilingues.»

Les familles qui ne sont pas bilingues, devraient-elles utiliser des applications sur tablette, ordinateur pour l’apprentissage d’une seconde langue? «Il semble clair que cela ne constitue en tout cas pas une méthode efficace et performante pour apprendre une langue étrangère. Et nous aurions même envie d’ajouter: quel que soit l’âge. Parler une langue, c’est également la pratiquer. Et… la pratiquer avec un partenaire de communication pour en saisir le fonctionnement.»

L’influence socio-économique

S’exprimant en classe dans une autre langue qu’à la maison, les élèves issus de l’immigration sont-ils défavorisés linguistiquement? «La compréhension orale, et par extension la compréhension écrite sont toutes deux largement dépendantes du niveau socio-économique des enfants bien plus que de la langue parlée à la maison», juge la logopède. «Comprendre un texte implique de connaître les mots-clés. Connaître la version écrite de ces mots afin de pouvoir en retrouver la signification en mémoire. Comprendre les structures grammaticales des phrases qui composent le texte. Identifier le style de texte et son organisation narrative.»

Le vocabulaire d’un enfant bilingue n’est-il pas plus réduit que celui de ses condisciples monolingues? «Comparer un enfant bilingue à un enfant monolingue et dire qu’il a moins de vocabulaire dans l’absolu est un non-sens. Il faut comparer des choses comparables. Et tenir compte du contexte éducatif bilingue et de ses particularités. Un enfant bilingue peut avoir un vocabulaire moins important dans une de ses langues à un moment particulier parce qu’il n’a pas encore eu l’occasion d’acquérir certains mots dans le contexte particulier de pratique de cette langue.»

Avec 25 élèves en classe

Il y a 20 ans, Annick Comblain et Jean Rondal, professeur de psycholinguistique à l’ULiège, soulignaient la trop grande importance accordée à l’apprentissage de la grammaire dans l’enseignement d’une langue étrangère. Au détriment de la capacité à communiquer.

«En 20 ans, les choses ont changé et les méthodes d’enseignement scolaire des langues étrangères ont évolué vers davantage de pratique des langues et des objectifs fonctionnels de communication», reconnaît la chercheuse.

Avec un nombre moyen de 25 élèves par classe… «Si chaque élève doit s’exprimer au cours d’une période de cours, le temps passé à parler et échanger en classe est réduit à peau de chagrin», dit la Pre Comblain. «Deux minutes dans le meilleur des cas, 8 minutes sur une semaine, 3 heures sur un an, 18 heures en 6 ans. Dans ces conditions, le meilleur enseignant du monde, armé de la meilleure volonté du monde, ne peut arriver à faire acquérir une langue étrangère à un enfant! Notre enseignement des langues étrangères commence toujours trop tard et est toujours trop peu intensif.»

L’enseignement bilingue se pose en alternative. L’immersion linguistique en est la forme la plus connue et la plus largement répandue en Belgique francophone. Avec une partie des cours dans une langue seconde. Selon la chercheuse, «avant de prendre toute décision qui hypothéquerait l’avenir de l’enfant, il est utile de se poser les bonnes questions sur d’une part, les motivations d’inscrire l’enfant dans un enseignement bilingue. Et d’autre part, l’impact que l’abandon forcé d’une langue aura sur l’enfant.»

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