Le temps d’une exposition proposée dans le cadre d’Europalia « Trains & Tracks », le mythique Orient-Express marque un arrêt à Bruxelles, en gare de Schaerbeek. Ce sont les locaux du musée ferroviaire « Train World » qui l’accueillent. Une belle occasion pour découvrir deux véritables wagons du fameux train de luxe : une voiture de première classe de type Pullman de 1929 et une voiture restaurant datant de 1927. Acquises en 2011 par la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), ces voitures ont été entièrement restaurées. « Mieux encore, elles sont arrivées par rail jusqu’à Bruxelles », précise Piet Jonckers, le directeur des lieux.
L’exposition Orient-Express offre l’occasion de redécouvrir l’histoire de ce train, mais aussi celle de son créateur : le Liégeois Georges Nagelmackers. C’est lui qui fonde en 1876, à Bruxelles, la « Compagnie Internationale des Wagons-Lits ». Elle succède à la Compagnie internationale « de » Wagons-Lits créée quatre années auparavant à Liège. Le projet de Nagelmackers ? Reproduire, mais en mieux, l’expérience qu’il a pu découvrir quelques années plus tôt, lors d’un séjour aux États-Unis. À cette époque, il avait été séduit par les « Sleeping Cars » de George Pullman.
Transformer les banquettes en bois en couchettes confortables
Pullman avait amélioré le confort des trains de nuit en remplaçant les banquettes par des couchettes. Il avait aussi eu l’idée d’accrocher ses voitures à des convois déjà existants.
De retour en Europe, Georges Nagelmackers adapta l’idée de Pullman aux exigences européennes. Un sacré défi : chaque pays possédant sa réglementation et son matériel ferroviaires.
Le premier voyage a lieu en 1872, ce qui concrétise la naissance de la Compagnie Internationale de Wagons-Lits. Georges Nagelmackers est alors autorisé par différentes sociétés ferroviaires à incorporer ses voitures à leurs trains de nuit. À partir de 1876, son projet arrive à maturité et il décide d’exploiter ses propres trains composés de voitures-lits, combinées ultérieurement à une voiture-restaurant, afin d’éviter les arrêts-buffet.
Géopolitique européenne
Politiquement, en 1878, le traité de San Stefano redessine la géographie des Balkans. Il approuve la création d’une Bulgarie autonome, tandis que la Serbie, le Monténégro et la Roumanie obtiennent l’indépendance totale et voient leur territoire agrandi. Pour ces nouveaux pays, le train apparaît comme un objet de civilisation et d’émancipation. De son côté, l’Empire ottoman, qui dans un premier temps voyait le train comme une voie ouverte aux idées et aux armées occidentales, accepte désormais le principe de réseau ferré relié au reste de l’Europe. Des lignes ferroviaires sont déjà en place, mais nécessitent d’être consolidées et étendues. « Malgré le contexte politique incertain, les conditions sont donc idéales pour le lancement de l’Orient-Express », détaille l’exposition.
Nagelmaekers inaugure la première liaison ferroviaire exprès de luxe avec son « Train Éclair », en 1882. Ce train relie Paris à Vienne. Un an plus tard, en juin 1883, le premier train transcontinental européen relie Paris à Constantinople (aujourd’hui Istanbul). Il faudra cependant attendre 1891 pour que ce train soit officiellement baptisé Orient-Express. En 1894, c’est la ligne Ostende-Vienne-Orient-Express qui est créée.
Victime de la concurrence intenable de l’aviation
Si Georges Nagelmackers reste à la tête de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits et des Grands Express Européens (la nouvelle dénomination de la société à partir de 1884) jusqu’à sa mort en 1905, la Compagnie connaîtra encore de multiples développements. En 1919, par exemple, avec l’ouverture du tunnel du Simplon, naîtra aussi le « Simplon-Orient-Express ».
Mais la concurrence de l’aviation naissante aura finalement raison de cette aventure ferroviaire. Certes, les trains de Nagelmackers étaient des trains de luxe. Mais ils étaient aussi des « express ». Malgré leur vitesse, face à l’avion, la concurrence est intenable. En mai 1977, le mythique Orient-Express parcourt pour la dernière fois l’intégralité du trajet Paris-Istanbul. Si aujourd’hui, un avion de ligne relie les deux capitales en 3h30, lors du trajet inaugural de l’Orient-Express, le voyage durait plus de 67 heures…
Un Bruxelles-Venise à plus de 4.000 euros
Le voyage de luxe ferroviaire n’est cependant pas mort. Certes, on ne parle plus de lignes régulières avec ce niveau de confort. Mais pour les plus nantis, une telle « croisière ferroviaire » reste possible, du moins partiellement. Le prochain départ de Bruxelles pour Venise en train de luxe est programmé pour la mi-avril 2022. Le prix du billet ? Un trajet à bord du « Belmond Venice-Simplon-Orient-Express » coûte plus de 4.000 euros.
Six jours de voyage pour rallier… Le Caire
Pour prolonger (ou préparer) la visite de l’exposition bruxelloise, ou tout simplement se plonger dans l’ambiance de l’époque, rien de tel qu’un coup d’œil au récit imaginaire d’une gouvernante accompagnant au Caire, et en train, la famille de ses employeurs parisiens. Six jours de voyage en Orient-Express, via le Simplon, jusqu’à Istanbul, puis en « Taurus Express ».
« Après notre nuit à l’hôtel Pera Palace (Istanbul), nous avons poursuivi notre voyage avec le Taurus-Express, dont la Compagnie Internationale des Wagons-Lits était également propriétaire. Le train avait deux destinations : Bagdad et Le Caire. Il a donc été scindé à Alep… », écrit-elle.
« Le Taurus-Express nous a d’abord emmenés de Tripoli au Liban. Ensuite, nous avons continué jusqu’à Haïfa, en Palestine, dans des bus Rolls Royce. Puis rebelote : un train jusqu’à Kantara, le long du canal de Suez, où nous avons pris un ferry. Enfin, un dernier train nous a amenés jusqu’au Caire. De Paris à notre destination finale, il nous avait fallu quatre trains, deux bateaux, un bus et six jours. Inconcevable aujourd’hui, mais terriblement impressionnant à l’époque ! »
La totalité de cette saga est à découvrir dans la rubrique « petites histoires », du site web de Train World. Le musée dispose aussi dans ses collections permanentes de la voiture royale de Léopold II et d’Albert 1er. Cette voiture, datant de 1901, provient également des ateliers de la Compagnie Internationale des Wagons-lits. Elle est à découvrir à côté des deux voitures de l’Orient-Express installées temporairement dans la dernière halle du musée.