En quoi croient les scientifiques ?

4 février 2022
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
"Des valeurs en monde académique", par Edwin Zaccaï. Collection «Transversales» de l’Académie royale de Belgique. VP 15 euros
« Des valeurs en monde académique », par Edwin Zaccaï. Collection «Transversales» de l’Académie royale de Belgique. VP 15 euros

Invités par Edwin Zaccaï, 14 scientifiques ont rédigé «Des valeurs en monde académique». Dans la collection «Transversales» de l’Académie royale de Belgique.

La recherche pour elle-même

Les chercheuses et chercheurs de tous horizons revisitent leurs travaux pour répondre au «En quoi croyons-nous?» du fondateur du Centre d’études du développement durable de l’ULB. Membre de la Classe technologie et société de l’Académie royale.

«Ce que je voudrais pointer», dit Edwin Zaccaï, «c’est que la recherche pour elle-même, sans préoccupation pour son inscription sociale, me questionne. Je ne parle pas d’une utilité sociale immédiate bien sûr, ni nécessairement bien définie. Mais je me souviens de colloques où face, par exemple, aux urgences écologiques, des chercheurs continuaient à formuler des éléments de détail. Alors que leurs efforts et leur intelligence auraient pu sans doute être mieux employés.»

Intégration et inclusion

Le docteur en sciences politiques et sociales Arnaud Zacharie analyse la politique des boucs émissaires du discours national-populiste qui s’oppose aux combats progressistes. «La catégorisation et la communautarisation des sociétés mènent généralement à la stigmatisation et à l’exclusion. Seul un projet politique visant l’émancipation de la société prise dans son ensemble, quels que soient le genre, l’origine ethnique, la religion, les opinions politiques ou l’origine sociale de ses membres, est susceptible de mener à l’intégration et à l’inclusion.»

«Réduire les inégalités sociales implique de lutter contre les discriminations sociales dont sont victimes les immigrés», ajoute le secrétaire général du Centre national de coopération au développement (CNCD). «Les immigrés nourrissent davantage l’État-providence qu’ils ne le consomment dans les pays d’accueil», démontre le maître de conférences à l’ULB et à l’ULiège en s’appuyant notamment sur une étude parue en 2019. Portant sur les 19 principaux pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui concentrent près de la moitié des immigrés dans le monde.

Du temps pour vérifier, décanter

Historien et archéologue, Didier Viviers voit dans le temps «une denrée précieuse dont on regrette la pénurie. Le manque de temps pour un chercheur, comme pour bon nombre de professions, est une doléance courante. Du temps disponible, l’administration croissante en soustrait une part, les aléas des expériences de laboratoire ou des enquêtes de terrain en ravissent une autre, quand ce ne sont tout simplement pas les conditions générales d’accès aux équipements ou aux terrains qui réduisent dramatiquement sa valeur au temps en recherche.»

L’ancien recteur de l’ULB, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique, se demande si «les rythmes imposés à la recherche par les systèmes académiques sont compatibles avec toutes les recherches et favorables à une recherche féconde. On exigera du chercheur qu’il publie beaucoup, c’est-à-dire qu’il s’impose un rythme parfois trop rapide quand sa recherche nécessiterait, idéalement, des temps de réflexion ou de vérification ou, simplement, de décantation.»

Solidarité entre humains et non humains

Pour Isabelle Ferreras, directrice de la Classe technologie et société de l’Académie royale, la science est un chantier d’ampleur colossale qui requiert une division du travail. «Ce qui guide le regard scientifique, c’est la prise de conscience de notre état de solidarité avec tous ces contributeurs et contributrices essentiels. De l’abeille à la caissière, du chêne rouge à l’aiguilleur du ciel, du Gulf Stream à la concierge qui nous ouvre ce palais des Académies. En fonction des disciplines, le regard révélera la solidarité entre les espèces, la solidarité entre humains et non humains.»

Des emplois considérés généralement comme subalternes, moins bien rémunérés, souvent occupés par des femmes, sont devenus essentiels avec la pandémie du Covid-19. «Ce dont ce terme essentiel parle, qualifiant ces travailleurs souvent les moins considérés socialement, c’est de justice», souligne la professeure de sociologie à l’UCLouvain, maître de recherches au Fonds de la recherche scientifique. «La science mène un combat commun avec les luttes pour la justice.»

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