Mardi 3 mars 2015, Colloque au Sénat de Belgique sur l'avenir de la Recherche scientifique dans le pays.
Mardi 3 mars 2015, Colloque au Sénat de Belgique sur l'avenir de la Recherche scientifique dans le pays.

Quel avenir pour la Recherche en Belgique ?

4 mars 2015
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 7 minutes

De quelle recherche désire-t-on doter la Belgique dans deux, cinq ou vingt ans? Fondamentale, appliquée, ultra-atomisée, centralisée? Avec quels moyens, quelle organisation, dans quels buts?

 

Mardi après-midi, Christine Defraigne, la Présidente (MR) du Sénat, organisait en collaboration avec BELSPO, la Politique scientifique fédérale, un vaste colloque consacré à ce sujet. Un exercice bienvenu qui a esquissé la situation mais sans apporter de réelles réponses aux inquiétudes du moment… faute de ministres.

 

Absence des cinq ministres de la Recherche ou de l’Innovation

 

« La particularité de notre paysage institutionnel entraîne une répartition de compétences entre les diverses entités du pays en matière de recherche scientifique et d’innovation », a rappelé Christine Defraigne.

 

Le colloque au Sénat a permis de prendre toute la mesure de ce morcellement et de donner la parole à de nombreux acteurs de la recherche. Des chercheurs, bien entendu, des experts étrangers qui ont analysé le système de recherche (on parle aussi de système d’Innovation) en Belgique, un représentant de la Commission européenne (DG Recherche), des gestionnaires d’outils publics consacrés à la Recherche et le développement, des chefs d’entreprises actifs dans la recherche, et … deux représentants de Ministres, sur les cinq que compte le pays ayant une compétence « Recherche » en portefeuille.

 

Que retenir de cet exercice? Que des structures efficaces existent. Que la Belgique a développé des outils intéressants en matière de recherche scientifique, que les programmes fédéraux et régionaux livrent des résultats surprenants… malgré la fragmentation du paysage de la recherche Belge et les moyens limités. Et que la volonté des acteurs de la recherche est de maintenir l’excellence en utilisant au maximum les programmes qui existent et qui ont fait leurs preuves.

 

Le Vlaams Instituut voor Biotechnologie (VIB) en Flandre

 

Les avis contrastés et les démonstrations d’efficacité de certains programmes ont été pointés. En Flandre, Jo Bury, directeur du VIB (Vlaams Instituut voor Biotechnologie), a montré la pertinence d’une certaine vision de la recherche intégrée, depuis son niveau fondamental aux éventuelles applications. Un bilan positif, avec un système de fonctionnement basé sur l’excellence des équipes, des financements revus sur base de ce seul critère tous les cinq ans. Un indicateur de ce succès? L’explosion, depuis son lancement il y a vingt ans, du nombre de publications scientifiques dans les meilleures revues de la planète pour les équipes flamandes intégrées dans cette structure.

 

L’exemple de WELBIO, en Wallonie

 

Dans la partie francophone du pays, ce modèle flamand a donné naissance au WELBIO (Walloon Excellence in Life sciences ans Biotechnology). « En 2010 sous l’impulsion du Ministre Marcourt, la Région wallonne crée le WELBIO, une copie francophone du modèle de la VIB », explique le Pr Cédric Blanpain (ULB), qui est un des chercheurs soutenus par ce programme.

 

« Cette magnifique initiative a été une des meilleures initiatives francophones pour la recherche académique francophone. Elle a permis à mon labo et à ceux de mes brillants collègues de se maintenir à un top niveau mondial ».

 

L’avenir des PAI au centre des débats

 

Un colloque, cela sert à faire le point, à s’interroger sur les acquis, à esquisser l’avenir. C’est ici que les participants sont restés sur leur faim. Notamment en ce qui concerne l’avenir de la Politique scientifique fédérale, condamnée dans la déclaration gouvernementale d’octobre 2014. L’avenir sombre des PAI, les Pôles d’attraction interuniversitaires, a également suscité de nombreux commentaires et témoignages concernant leur pertinence.

 

Les PAI sont un programme actuellement dans leur dernière phase, qui permettent aux chercheurs de toutes les régions du pays de travailler ensemble sur une thématique commune. Ce faisant, ils développent leurs expertises respectives et créent un réseau dont la masse critique leur assure une plus grande notoriété dans la communauté internationale. Ce programme porté par la Politique scientifique fédérale a été « enterré » par la dernière réforme de l’Etat qui prévoit son transfert aux Régions. Et ce malgré une pétition signée par 5000 chercheurs belges et étrangers.

 

La question qui se pose porte sur la volonté ou la réelle possibilité des régions de faire perdurer ce programme. Cela implique des transferts de moyens du fédéral vers les entités fédérées et la mise en place d’un accord de coopération. La plupart des intervenants au colloque doutent de la survie du programme dans ce cadre. Malgré sa pertinence scientifique. Et poussent à son maintien.

 

Deux exemples d’excellence scientifique

 

« Nous venons de recruter notre dernier post-doctorant dans le cadre du programme des Pôles d’attraction interuniversitaires que nous coordonnons. Nous avions reçu 140 candidatures pour ce poste », indique le Pr Jean-Marie Frère, de l’Université Libre de Bruxelles. « Une sélection difficile mais qui atteste du haut niveau de la recherche que nous menons. Le nouveau chercheur qui vient d’être recruté commencera ses deux années chez nous lors de la nouvelle année académique. Après, nous ne savons pas ce qu’il adviendra ».

 

Une précision sur la qualité du service du Pr Frère. Il s’agit de celui de Physique théorique, qui coordonne les travaux du PAI consacré aux interactions fondamentales. Un indice sur l’excellence de ce service : le Pr Frère a pris la direction du service de physique théorique de l’ULB à la suite du Pr François Englert, prix Nobel de physique en 2013.

 

Autre témoignage, autres chiffres. Le Pr émérite Michel Gevers (UCL), a dirigé pour sa part un PAI pendant 20 ans. Ce réseau consacré à l’étude des systèmes dynamiques, leur contrôle et leur optimisation, existe toujours. “Quand nous avons démarré, nous comptions une quarantaine de chercheurs”, dit-il. “Aujourd’hui, ils sont plus de 250. Et fait remarquable, seuls 10% d’entre eux sont effectivement payés grâce aux financements liés au PAI. Ce type de réseau fait boule de neige. Son excellence attire les meilleurs chercheurs du domaine. Nous travaillons toujours avec nos partenaires belges (KUL, Gand, Liège, Namur, Mons), mais nous avons aussi trois partenaires internationaux : le MIT, Stanford et Princeton, aux Etats-Unis”.

 

Et à propos, en Flandre, les succès engrangés par le VIB sont eux aussi, dus, en partie, à l’implication de ses chercheurs dans des réseaux PAI, confirme Jo Bury, le directeur du VIB.

 

Deux absents: la Secrétaire d’Etat (N-VA) à la Politique scientifique et le ministre flamand (N-VA) en charge de l’Innovation

 

Ces témoignages parlent d’eux-mêmes. Ils n’ont malheureusement pas pu être partagés avec l’ensemble des mandataires politiques. Les cinq ministres belges ayant en charge la Recherche, la Politique scientifique ou l’Innovation dans leurs attributions étaient également invités à s’exprimer à ce colloque.
André Lemaître, représentant du Ministre wallon Jean-Claude Marcourt a souligné qu’aux yeux de son Ministre, le transfert des PAI aux Communautés/Régions ne signifierait pas automatiquement leur enterrement. Du moins vu du côté wallon.
Xavier Lepoivre, directeur de cabinet adjoint de la Ministre bruxelloise Fadila Laanan (PS) a insisté sur la nécessaire collaboration entre Régions et entre acteurs de la recherche et de l’innovation des diverses entités du pays.

 

Au niveau fédéral, la Secrétaire d’Etat en charge de la Politique scientifique Elke Sleurs était absente et ne s’était pas faite représenter. Pas plus que le ministre flamand de l’Innovation Philippe Muyters, deux mandataires N-VA. Pas ‘éclairage donc sur les ambitions flamande et fédérale en matière de recherche ni sur l’avenir que le gouvernement fédéral entend effectivement réserver à la Politique scientifique fédérale ou aux PAI…

 

Le sénateur Jacques Brotchi (MR), qui a assisté à l’ensemble des débats, a cependant promis de faire rapport à son président de parti, Olivier Chastel, de ce qu’il avait entendu mardi dans l’hémicycle. « Nous sommes tenus par un accord de gouvernement », a-t-il rappelé. « Mais il y a sans doute moyen de faire quelques aménagements ».

 
Absence de vision créative

 
Le Pr François Englert, Prix Nobel de physique 2013, a conclu ces échanges en s’intéressant à une autre dimension, plus européenne celle-là, de l’avenir de la recherche. Il a déploré la réorientation d‘une partie des budgets européens réservés à l’ERC à d’autres fins.

 

« La recherche fondamentale peut garantir un épanouissement durable à l’Europe », a-t-il estimé. « Mais le projet de transfert, au Fonds européen pour l’investissement stratégique, d’une somme importante destinée à la recherche fondamentale, initialement prévue dans le cadre d’Horizon 2020 et en particulier de l’ERC, ne va pas du tout dans ce sens. Ce projet extirpe les semences d’une prospérité durable, projette l’image d’une Europe sans vision créative et risque de contribuer à son déclin vers une insignifiance », a-t-il dit.

 

Le Pr Englert a aussi indiqué qu’une lettre signée par une trentaine de lauréats européens de Prix Nobel avait été adressée à tous les gouvernements des états membres et au Parlement européen, pour mettre en garde contre « cette initiative regrettable pour l’avenir de l’Europe ».

 

Pour le Prix Nobel belge, négliger la recherche fondamentale c’est mettre en péril les acquis mêmes de notre civilisation. Il cite une phrase de cette lettre: « Si nous ne devenons pas plus intelligents, nous deviendrons plus pauvres ».

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