Série : Chercheur et aventurier (1/5)
Le sol du Gabon est parmi les plus riches au monde en manganèse. Une équipe de recherche menée par Dr Augustin Dekoninck, du Laboratoire G-Time (ULB), s’est rendue dans le district minier du sud-est du pays. Et ce, dans le but d’étudier le processus de formation géologique qui permet de concentrer aussi fortement le manganèse dans ce gisement, et d’estimer le nombre de millions d’années qui furent nécessaires à sa formation. De quoi permettre, peut-être, de prédire l’emplacement d’autres gisements riches en manganèse sur la planète.
Le manganèse est le 4e métal le plus produit au monde. Près de 90 % du manganèse extrait entre dans la fabrication de l’acier. « Cela le rend plus résistant, plus fin, plus flexible et exempt de sulfures et de certaines impuretés ». Le reste de la production mondiale de manganèse sert à la confection des batteries électriques dites NMC (pour nickel-manganèse-cobalt) utilisées dans les voitures électriques. Au vu de la politique européenne de se passer des moteurs thermiques d’ici 2035, il est à parier que le rôle stratégique du manganèse va enfler dans les prochaines années.
De la nécessité de lier des partenariats
Au préalable d’une mission d’exploration géologique de terrain, il est nécessaire de créer un partenariat avec la ou les universités locales. « Nous avons été aidés par des collègues de l’Université des sciences et techniques de Masuku, à Franceville, la grosse ville du sud-est du Gabon. »
« Ensuite, nous avons pris contact avec les sociétés minières exploitant les gisements que l’on souhaitait visiter. Bien que nos questions soient purement scientifiques, ces sociétés émettent parfois des réticences, car on vient observer ce qu’il se passe et qu’elles n’ont pas un contrôle absolu sur nos actions. Les convaincre de nous donner l’accès à leurs gisements, c’est un gros boulot en amont. »
Lorsque ces deux partenariats clés sont ficelés, les géologues belges peuvent se rendre sur place. « Et c’est toute une aventure. Notre avion arrive à Libreville, la capitale gabonaise, mais pour rejoindre le gisement, situé à 700 km de là, il faut emprunter un avion d’une compagnie locale. Ensuite, il faut composer avec les crevaisons de pneus, les intempéries, les autorisations qu’on nous refuse au dernier moment. Mais finalement, en une douzaine de jours de mission, nous avons récolté environ 200 échantillons de roches sur différents sites miniers. »
Une succession d’analyses jusqu’à la datation
Travaillant en collaboration avec un collègue du Musée d’Afrique centrale à Tervuren, un autre de l’Université de Rennes et un étudiant de master qui les a accompagnés sur le terrain, Dr Dekoninck se donne deux ans pour analyser les échantillons collectés et en publier les résultats.
Tout d’abord, les échantillons vont passer sous le microscope. Les textures observées donneront des informations sur la façon dont le minerai s’est formé.
Des analyses chimiques révéleront la teneur en manganèse, mais aussi en cobalt, en nickel, en terres rares, en fer dans le minerai. Des analyses isotopiques viendront affiner la compréhension du processus générant les gisements.
En fin de parcours, après ces différentes analyses, le géologue espère dater certains minéraux. « Dans le minerai de manganèse, il existe un minéral dénommé cryptomélane. Une fois mis au jour grâce aux observations microscopiques, il faudra l’isoler afin de le dater par une méthode argon-argon. La mesure de la proportion de gaz présents dans le cryptomélane donnera un âge en millions d’années, avec une marge d’erreur de 100.000 ans. C’est la méthode la plus précise pour dater ce genre de gisements, appelés supergènes», explique Dr Dekoninck, chercheur post-doctoral FNRS.
La pluie concentre le métal
Supergène, le mot est lâché. S’il a l’air de revêtir une notion compliquée de prime abord, l’explication vulgarisée d’Augustin Dekoninck rend le vocable accessible aux néophytes.
« Un gisement supergène de manganèse se forme quand une roche – contenant déjà un peu de manganèse – subit la percolation de l’eau de pluie. Cette interaction retire certains éléments chimiques de la roche et en concentre d’autres, comme le manganèse. Les éléments retirés sortent du système, car ils sont solubles dans l’eau. Au contraire, le manganèse, insoluble, se concentre dans la roche», poursuit le professeur invité à l’UNamur.
« Concrètement, on part d’une roche contenant environ 15 % de manganèse et on arrive à un minerai exploité qui en contient 50 %! » Autrement dit, dans les gisements gabonais, une tonne de minerais contient 500 kg de manganèse. « C’est très rentable comme exploitation comparativement à des gisements de cuivre contenant à peine 0,8 % de cuivre … »
Les gisements supergènes ne sont pas qu’affaire de manganèse. D’autres concentrant le cobalt sont connus, notamment au Katanga (RDC).
Un impact environnemental limité
Au Gabon, le minerai de manganèse exploité se situe dans une couche épaisse de 5 à 9 m, située à peine quelques mètres sous la surface. Inutile donc de percer le sol de galeries longues d’un kilomètre comme cela se fait pour extraire l’or ou l’argent.
« Les roches étant meubles, il n’y a pas de recours à la dynamite. Techniquement, les exploitants viennent avec une pelle, grattent les collines et récupèrent le minerai. Quasi 100 % de la roche exploitée est valorisée, car le produit fini vendu comme minerais de manganèse n’a pas besoin d’être du manganèse pur. »
« La composition de la roche extraite est quasi celle des alliages de silico-manganèse et de silico-ferro-manganèse nécessaires à l’industrie de l’acier. Dès lors, soit le minerai est vendu directement à l’industrie métallurgique. Soit il subit un prétraitement par chauffage (à plus de 1000°C) pour former ces fameux alliages. Il n’y a donc aucun traitement chimique qui vise à isoler le métal seul, car cela représente un intérêt marginal. »
Quid des poussières fines, celles générées par les camions, l’extraction et le lavage du minerai ? « Comme le minerai est déjà oxydé, le manganèse ne va pas se diluer dans les cours d’eau, mais va rester sous forme de particules qui vont sédimenter. Par ailleurs, les pluies étant très fréquentes dans cette région équatoriale, les poussières sont rapidement entraînées vers le sol et ne restent donc pas en suspension dans l’atmosphère sur de longues distances et pendant un long moment. »