Les effets des parcs éoliens belges offshores sont sous haute surveillance. Chaque année, depuis 13 ans, les rapports du suivi des effets écologiques de ces parcs dans la première zone éolienne offshore belge ont montré que de grandes quantités d’invertébrés (moules, anémones, petits crustacés, etc.) colonisent les piliers des turbines. À leur tour, ils attirent certaines espèces de poissons comme le cabillaud et la plie.
Cependant, la connaissance des espèces colonisatrices et de leurs effets sur l’écosystème marin est restée largement limitée au niveau des turbines et des parcs éoliens individuels. Des études complémentaires, menées par les scientifiques de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, avec le concours de chercheurs des universités de Liège et de Gand (notamment), viennent de montrer dans quelles mesures ces espèces colonisatrices participaient à l’enrichissement organique des fonds marins. Mais aussi comment cette augmentation des dépôts organiques entraînait à son tour un stockage accru de carbone dans le sédiment.
Modifications dans l’enrichissement organique du fond marin
Les espèces qui colonisent les pieds des éoliennes filtrent la nourriture de la colonne d’eau, puis fournissent un apport de matière organique au fond marin autour des éoliennes. Et ce, à la fois sous la forme de leurs excréments et d’organismes morts qui coulent. Mais où aboutit exactement cette matière organique ? Cela a pu être vérifié grâce à des modèles qui décrivent les courants de l’eau (hydrodynamique, y compris les marées et les vagues) et le transport des sédiments.
« Ces modèles intègrent une représentation de la dynamique du carbone organique et des particules minérales dans la colonne d’eau et les sédiments », indique l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique (IRSNB). « Cette intégration de mécanismes a clairement démontré que la présence de parcs éoliens offshores entraînait des changements importants dans le dépôt de matière organique sur le fond marin, autant à l’intérieur des parcs éoliens qu’à l’extérieur. Etant donné que cette matière organique sert de nourriture aux organismes vivant dans les fonds marins, (une partie de) la chaîne alimentaire peut être affectée.»
Le chercheur Evgeny Ivanov, du laboratoire de modélisation des systèmes aquatiques de l’Université de Liège, premier auteur de cette étude, précise: « Dans les parcs éoliens offshores et dans les zones qui les entourent, on observe une augmentation significative de la matière organique déposée sur les fonds marins (jusqu’à 15%, et même localement jusqu’à 50%), en particulier dans les zones situées le long des plus forts courants de marée. Dans les autres directions (NO et SE), une diminution du dépôt de matière organique est prédite (jusqu’à 10% de moins). Les parcs éoliens offshores multiples donneront donc lieu à une mosaïque de zones présentant une augmentation et une diminution du dépôt de carbone sur le fond marin. »
« Dans les parcs éoliens et dans une zone de 5 km autour des turbines, le bilan final est positif. On y détecte davantage de matière organique. »
24.000 à 48.000 tonnes de « carbone bleu » piégées par parc éolien
L’augmentation du dépôt organique entraîne un stockage accru de carbone dans le fond marin d’un parc éolien offshore. Emil de Borger, à l’époque à l’Université de Gand et aujourd’hui à l’Institut Royal néerlandais de Recherche sur la Mer (NIOZ), a calculé exactement la quantité de carbone en jeu.
« Entre 28.715 et 48.406 tonnes de carbone sont stockées dans les 10 cm supérieurs du fond marin dans un parc éolien offshore pendant sa durée de vie, définie ici comme étant de 20 ans », dit-il. « Ce carbone est parfois appelé « carbone bleu », c’est-à-dire du carbone piégé dans des formes organiques (comme des animaux ou des plantes), qui est ensuite enfoui. Sachant que ces chiffres correspondent, respectivement, à 0,014 % et à 0,025 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre en Belgique, on peut considérer qu’il s’agit d’une compensation carbone modeste, mais néanmoins significative. »
Cette compensation carbone vient s’ajouter à la quantité beaucoup plus importante de carbone (CO2) qui n’est pas émise en utilisant une source d’énergie renouvelable au lieu d’une source d’énergie fossile.
À titre de comparaison, l’IRSNB rappelle qu’en Belgique, les émissions de CO2 diminueraient de 1,04 à 2,86 millions de tonnes en utilisant de l’électricité d’origine éolienne plutôt qu’une turbine à gaz (sur la base de données de 2018). À cela, les quantités estimées de carbone qui sont stockées dans les sédiments apportent une contribution supplémentaire de 1 à 4,6 %.
Un stockage de carbone temporaire ?
Le stockage accru de carbone dans les sédiments à l’intérieur et autour des parcs éoliens offshores peut être de durée limitée. Si le fond marin est perturbé, le carbone accumulé peut être à nouveau libéré dans la colonne d’eau. Cela peut se produire à la suite d’un chalutage de fond (autorisé en dehors d’un rayon de 50 m autour des éoliennes individuelles au Royaume-Uni et en France, mais totalement interdit en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne pendant les phases d’exploitation des parcs éoliens, où il peut être à nouveau autorisé après leur démantèlement), ou lorsque les zones de concession sont remises dans leur état d’origine après la durée de vie prévue des éoliennes (20-25 ans).
Par conséquent, les résultats de ces études réalisées dans le cadre du programme FaCE-IT (Biodiversité fonctionnelle dans un milieu sédimentaire en évolution: Répercussions sur la biogéochimie et les chaînes alimentaires dans un contexte de gestion) sur le stockage du carbone dans les sédiments ne sont pas seulement utiles pour la planification des parcs éoliens en mer, mais ils peuvent également éclairer la prise de décision sur les scénarios et la méthodologie de démantèlements futurs.