À la rentrée parlementaire, la Commission spéciale d’enquête Vérité entamera ses travaux sur la colonisation belge au Congo, la tutelle sur le Rwanda et le Burundi. Pour avoir une meilleure idée de cette période, le Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC), renommé Africa Museum, publie «L’indépendance du Congo et ses lendemains». Des contributions scientifiques réunies par les professeurs d’histoire de l’Université de Kinshasa. En fait partie Elikia M’Bokolo, un des 10 experts chargés de préparer les travaux de la commission parlementaire. Et Jacob Sabakinu Kivilu, correspondant honoraire de l’Académie royale des Sciences d’outre-mer de Belgique.
Une exposition virtuelle
Ce livre devait accompagner l’exposition «Indépendance! Récits congolais». Organisée pour les 50 ans de l’événement en 2010. Réalisée par l’anthropologue Bambi Ceuppens (MRAC), les professeurs Jacob Sabakinu Kivilu (Université de Kinshasa) et Joseph Ibongo (Institut des musées nationaux du Congo).
«Le livre n’a jamais pu voir le jour suite à une série de circonstances imprévues», explique Guido Gryseels, directeur général du MRAC. «Cependant, le professeur Sabakinu n’a jamais voulu jeter le gant. Et a toujours cru en la pertinence de publier ces contributions malgré les années écoulées.»
«Aujourd’hui, nous prenons distance par rapport au colonialisme et le condamnons en tant que système de gouvernance et d’idéologie basée sur une occupation militaire et autoritaire, sur le racisme et l’exploitation. La période coloniale et celle de l’indépendance sont encore mal connues. Et nous allons continuer à investir dans la recherche de cette période. Surtout avec nos partenaires congolais.»
Dans la salle du passé colonial, l’Africa Museum présente des éléments montrés en 2010. L’exposition virtuelle est visible gratuitement sur son site. Des artistes, la plupart d’origine congolaise, s’expriment à travers la musique de leur pays.
Analyser l’indépendance
Le livre rassemble des écrits de 2010… «Si certains chapitres, davantage sociologiques ou historiques, souffrent moins des années passées, il va de soi que d’autres contributions se révèlent surpassées par l’évolution», précise l’historien Elikia M’Bokolo. «Nous avons convaincu les auteurs de publier leurs textes tels quels afin que ce corpus puisse rester cohérent et fasse montre d’un état de connaissances, quoique âgé, mais réellement intéressant pour analyser l’indépendance du Congo. Par une heureuse concordance des temps, une fois n’est pas coutume dans les relations belgo-congolaises, le livre paraît au moment où Kinshasa s’enorgueillit de son nouveau Musée national de la République démocratique du Congo, inauguré en novembre 2019.»
Le fédéralisme, la voie la plus raisonnable
En 2010, Gauthier de Villers, ancien responsable de la section Histoire du temps présent au MRAC, rappelait que les options unitaristes et fédéralistes sont écartées lors de la décolonisation.
«On peut pourtant estimer que le fédéralisme était la voie la plus raisonnable pour cet immense et divers pays. Mais la manière dont elle s’est incarnée politiquement va la discréditer durablement. C’est dans les régions les plus favorisées qu’elle a ses partisans.»
«Il y a un troisième facteur de distinction au sein des élites congolaises, le rapport qu’elles entretiennent avec le discours de l’authenticité. Face aux phénomènes de dépersonnalisation et d’aliénation produits par la colonisation, cette problématique développée, dans un esprit critique, aurait pu être féconde. Mais on le sait, elle sera récupérée par Mobutu. En même temps que le discours nationaliste et unitariste de Lumumba. Avec la rhétorique du recours à l’authenticité, elle deviendra l’idéologie d’un despotisme.»
L’issue d’un chaos
De son côté, le docteur en science politique de l’Université Libre de Bruxelles Jean Omasombo Tshonda, professeur à l’Université de Kinshasa et chercheur au service Histoire et Politique du MRAC, fait paraître «La décolonisation du Congo belge – La gestion politique des 24 derniers mois avant l’indépendance» aux éditions du MRAC. Un regard personnel à travers les témoignages des principaux acteurs de l’époque.
«L’indépendance du Congo n’était ni l’effet d’un ordre politique de l’autorité belge ni le résultat d’une révolution des populations congolaises», affirme le politicologue. «C’était l’issue d’un chaos, d’une vérité tragiquement simple. Il n’y avait pas de pouvoir politique. Pour le Congolais, le deuil de la colonisation belge allait continuellement demeurer inachevé.»