Population d'élements spatiaux en orbite autour de la Terre (laquelle se trouve au centre de l'image). 75% sont des débris - photographie d'un écran de projection © Laetitia Theunis

Les débris spatiaux : stop ou encore ?

4 septembre 2023
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes

Série : Arts et Sciences (1/3)

A force d’envoyer des satellites par milliers, les orbites terrestres sont obstruées par des engins en activité et surtout par énormément de débris. A Namur, Alessia Sanna, artiste plasticienne et chercheuse en arts numériques, a posé les bases d’une sculpture interrogeant la problématique de la pollution des orbites terrestres par les débris spatiaux. Cette résidence Art & Sciences a été lancée par le KIKK, association promouvant les cultures numériques et créatives aux croisements entre art, science, technologie, et société.

Syndrome de Kessler

« On n’a pas forcément conscience du nombre de débris en orbite autour de la Terre. Or, à partir du moment où on envoie des engins dans l’espace, ceux-ci génèrent des débris. Ceux-ci généreront eux-mêmes des débris de plus petite taille selon une réaction en chaîne, dénommée Syndrome de Kessler », explique Alessia Sanna.

« Ce qui est à craindre, c’est qu’à partir du franchissement d’un certain seuil, les débris vont représenter un danger rendant impossible l’exploration spatiale, l’envoi de nouveaux satellites et nuisant à l’observation spatiale. De quoi handicaper les pratiques scientifiques et poser problème aux télécommunications. A force de surexploitation, là-haut aussi, l’humain est en train de saturer l’environnement et de le rendre hostile. »

Alessia Sanna, artiste plasticienne et chercheuse © Laetitia Theunis

35.000 cubes

Alessia Sana va représenter cet univers sous une forme sculpturale qui atteindra 2,5 mètres de diamètre, laquelle sera visible à l’Exposition astronomique qui se tiendra début mai 2024 au Pavillon à Namur.

« Au-dessus de nos têtes, cohabite une population spatiale composée de satellites actifs, de satellites inactifs, de corps de fusée et de débris d’une taille supérieure à 10 cm (les plus petits débris passant sous le radar ne peuvent être comptabilisés). Elle compte actuellement 35.000 éléments. Chaque objet spatial va être représenté sous la forme d’un cube en plastique incolore transparent d’un centimètre de côté, et son appartenance à l’une de ces 4 catégories sera mise en évidence par son revêtement. »

« Les débris le seront par un revêtement holographique renvoyant davantage la lumière. Ils constitueront le socle de la sculpture. Les spectateurs se rendront ainsi compte que 75 % de la masse représentée correspond aux débris… Lorsqu’ils porteront le regard vers le haut, ils verront une masse bien moins importante, beaucoup plus translucide, représentant les satellites actifs, beaucoup moins nombreux. »

Quelque 6000 cubes transparents découpés par l’artiste au Fablab namurois © Laetitia Theunis

Un emballement fou

Avec l’aide d’Alexandre Weisser, architecte de logiciels, Alessia Sanna utilise le mapping informatique. « Cette technique nous permettra de créer une vision évolutive de l’encombrement spatial. Au départ, en 1957, seul un cube sera éclairé : Spoutnik. Puis, selon une ligne temporelle, de plus en plus d’éléments spatiaux vont être éclairés. On constatera l’augmentation folle du nombre de satellites envoyés ces dernières années avec le déploiement des constellations Starlink (Space X) et One Web. »

«  Il y aura aussi une vision prospective de cet environnement spatial. Avec, en arrière-plan, cette question : a-t-on déjà atteint un seuil critique aujourd’hui ? Si non, quand interviendra-t-il ? »

De manière synchronisée avec l’apparition ou la disparition des données, un environnement sonore, amené par l’artiste sonore Stéphane Clor, sera créé. « Notre travail va bien au-delà de la simple infographie : on essaie de faire ressentir les chiffres. Le son, en constante évolution, va modifier la perception des spectateurs comme la rendre de plus en plus angoissante. » L’émotion, facilitatrice de compréhension.

Travail sur le revêtement des cubes pour différencier les débris des satellites actifs, des satellites inactifs et des corps de fusée © Laetitia Theunis

Données tangibles et intangibles

Ce projet fait partie de sa thèse. Celle-ci traite de la visualisation et de la modélisation de données dans le champ des arts plastiques. Elle aborde les deux polarités du spectre de l’immatériel, données tangibles et données intangibles. Mais aussi les mises en forme adéquates et sensibles pour les mettre en avant tout en traduisant une vision poétique, véhiculant des émotions et portant un récit.

Alessia Sanna prend comme porte d’entrée son travail plastique de visualisation des données, notamment l’œuvre Screen City, une sculpture réaliste du relief urbain sur laquelle des jeux de couleur simulent l’apparition de données territoriales.

« Tout un pan de la thèse étudie la visualisation des données tangibles, concrètes, celles qu’on peut facilement mesurer, celles qui, par extension, peuvent facilement se traduire en forme. Cela, avec des moyens souvent très simples : le cube, le point », explique-t-elle.

« Un deuxième pan concerne la modélisation et la visualisation de données intangibles : comment modélise-t-on l’impact des relations humaines ? Cet aspect traite de données difficiles à capter, cerner, mesurer et donc représenter. Je l’aborde davantage avec un travail que je mène en entreprise via ma bourse doctorale française CIFRE, une convention industrielle pour la recherche. En entreprise, à travers mes outils d’artiste, j’explore les concepts de capital relationnel et de confiance. »

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