Huîtres creuses infectées par le virus OsHV-1. Celles qui sont ouvertes sont mortes suite à l'infection © Natacha Delrez

La puissance du mucus

4 septembre 2024
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes

Série : Sea, research & sun (6/6)

La Tremblade, quel joli nom ! C’est dans ce bourg les pieds dans le sable de Charente-Maritime, que Dre Natacha Delrez a poussé la porte de l’unité Adaptation santé des invertébrés marins (ASIM) de l’ Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). C’était il y a un an. Depuis lors, elle y étudie les relations hôte-pathogène entre l’huître creuse et l’Ostréide herpès virus. Et plus particulièrement ce qui se passe dans le mucus de l’animal.

Vétérinaire de l’ULiège, voilà plusieurs années que Natacha Delrez rêve d’océan. Si, de prime abord, c’étaient les baleines qui l’attiraient, elle se passionne désormais pour certains mollusques bivalves de la côte du Sud-Ouest de la France : les huîtres creuses. Une espèce rare ? Pas du tout ! Il s’agit, au contraire, de l’espèce d’huître élevée mondialement pour la consommation humaine.

Une curieuse tolérance de certaines huîtres

Si la situation en bord d’océan fait rêver, tout n’y est pas toujours rose. Depuis quelques années, des cultures d’huîtres y sont régulièrement ravagées par des agents pathogènes. L’un de ces ennemis des ostréiculteurs se nomme Ostréide herpès virus-1 (OsHV-1 ) – le chiffre 1 indique qu’il fut le premier à être détecté, NDLR – .

« Ce virus a été émergent en 2008. Depuis, des pics de mortalité massives et catastrophiques – touchant parfois jusqu’à 100 % des populations – parmi les huîtres creuses, surtout les juvéniles, sont recensés chez des ostréiculteurs en France, mais aussi d’autres endroits en Europe. C’est un problème économique majeur », explique la chercheuse belge.

Mais la situation n’est pas homogène. En effet, si certaines cultures d’huîtres sont littéralement exterminées, ne laissant pas un seul animal vivant, d’autres sont moins sensibles à l’herpès virus OsHV-1. Cela se marque par une mortalité bien moindre, de l’ordre de 30 %. Comment expliquer cette différence ? Voilà une question épineuse à laquelle Natacha Delrez s’attelle à répondre. Son hypothèse est que le mucus pourrait jouer un rôle.

Parc à huîtres situé à coté de la station de recherche de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) sis à La Tremblade © Natacha Delrez

Un mucus protecteur

Durant son doctorat en immunologie-vaccinologie à la faculté de Médecine vétérinaire de l’ULiège, elle s’est intéressée à un poisson d’aquaculture : l’anguille européenne. Comme tous les poissons, sa peau est recouverte d’une couche de mucus. Et celle-ci, dotée de propriétés physiques et biologiques particulières, joue un rôle dans l’immunité. « Lors de ma thèse, défendue fin 2021, j’ai pu mettre en évidence que l’herpès virus des anguilles était en partie bloqué par ce mucus. »

Cet aspect immunitaire du mucus suscite l’enthousiasme de chercheurs de par le monde. Certains ont découvert des propriétés cicatrisantes et antimicrobiennes dans le mucus des escargots. « Dans le cadre de mon postdoctorat, je me suis dit que cela pourrait être intéressant de voir ce qui se passe chez l’huître creuse. Car chez les mollusques, si la couche de mucus est extrêmement importante pour leur métabolisme, elle joue également un rôle dans leur immunité. »

« Dans le contexte de l’huître creuse et de l’Ostréide herpès virus, on connaît a priori très bien la pathogénie. C’est-à-dire par où passe le virus pour infecter l’huître, et ce qui se passe quand il est dans l’animal. Mais par contre, on ignore tout ce qui se passe au niveau du mucus. C’est une vraie boîte noire. »

« Le mucus étant le premier site d’interaction entre l’animal et son pathogène, c’est là que vont se mettre en place des réponses immunitaires plus ou moins efficaces. Et c’est peut-être en étudiant de manière plus approfondie ce mucus que l’on pourrait comprendre pourquoi certaines familles d’huîtres sont beaucoup plus sensibles à l’herpès virus OsHV-1 que d’autres. »

Dans un second temps, Natacha Delrez aimerait essayer de mettre en évidence des gènes spécifiques de l’immunité de l’huître contre cet herpès virus. Ou la présence des facteurs antiviraux dans le mucus.

Natacha Delrez récupérant des poches à huîtres © Natacha Delrez

 

Analyse temporelle et évolutive du mucus et du microbiote

La majorité de son projet va se faire au laboratoire. Avec des animaux d’élevage issus de la plateforme des mollusques marins de l’Institut Ifremer de La Tremblade. Mais Natacha Delrez va également revêtir son imperméable et chausser ses bottes en caoutchouc pour aller étudier les huîtres sur le terrain.

« On aimerait investiguer l’évolution des interactions au niveau du mucus au cours du temps. C’est pourquoi je vais aller échantillonner des huîtres dans le milieu naturel, pour ensuite les placer dans un parc à huîtres en face du laboratoire. Tous les trois mois, j’irai prélever leur mucus pour voir comment les constituants de celui-ci évoluent au cours des saisons. »

A cette analyse, s’ajoutera celle du microbiote. « En effet, dans un contexte de maladie infectieuse, certaines hypothèses suggèrent que si un agent pathogène parvient à entrer dans son hôte, c’est certainement dû à un dérèglement à la fois de l’immunité et du microbiote. Il serait intéressant de voir s’il y a une influence de l’herpès virus OsHV-1 sur le microbiote ou vice-versa », conclut-elle.

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