Dans «La fabrique de l’OTAN» aux Éditions de l’Université de Bruxelles, Julien Pomarède relate les réactions déconcertantes de soldats allemands, belges et néerlandais exécutant, en 2015, le programme pour la défense contre le terrorisme de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Des militaires amusés visaient la tête de mannequins avec un Taser sur une base militaire belge. L’instructeur avait pourtant précisé que ce pistolet électrique pouvait être mortel. Des soldats filmaient, parfois en riant, l’électrocution de deux volontaires qui avaient perdu connaissance.
Le chercheur était plus préoccupé par la référence des exercices au terrorisme que ces militaires qui tiraient sur des cibles assimilées à des ennemis, à des manifestants. Le membre du Centre recherche et études en politiques internationales de l’ULB raconte le rire général suscité par le représentant de l’entreprise américaine LRAD Corporation quand son canon à son a diffusé une musique folklorique. Pour montrer la puissance de portée d’un dispositif de harcèlement acoustique qui peut générer la surdité.
Gérer les risques préventivement
«L’OTAN, en stimulant les usages militaires de telles armes, aussi destinées aux forces de police, se fait caisse de résonance transnationale de ce phénomène», observe Julien Pomarède. «Les industries y trouvant un moyen supplémentaire de faire valoir leur apport dans cette fabrication d’une matrice de guerre où la violence militaire des armes n’est plus les contours de la létalité stricto sensu. Mais d’une brutalité aux frontières meurtrières floutées.»
Sur base de l’idéologie de gestion préventive des risques, le développement d’armes non létales encourage un marché privé de la sécurité. Comme le largage de bombes avec précision, la protection d’infrastructures ou la lutte contre des engins explosifs improvisés.
«La gestion de risques offre une perspective quasi illimitée de production des imaginaires de menaces», souligne le chercheur. «Ce qui démultiplie les terrains d’actions légitimes de cette organisation politico-militaire.»
Lutter contre le terrorisme
Dans son livre, Julien Pomarède scrute les raisons du maintien de l’OTAN après la disparition de l’URSS, l’ennemi qui a justifié son existence. Propose une immersion sociologique dans le monde des pratiques contre-terroristes de l’Alliance après les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis. À partir d’une enquête de terrain mêlant entretiens et observations. Sur base de l’intervention de l’OTAN en Afghanistan, l’opération Active Endeavour des navires patrouillant en Méditerranée. Et du programme de travail pour prévenir les attaques terroristes non conventionnelles.
«Pour mieux comprendre l’évolution de l’OTAN, nous avons cherché à en ouvrir la boîte noire pour pénétrer ce qui se passe dans cette organisation au niveau des problématisations sécuritaires qui s’y forgent», explique le docteur en sciences politiques et sociales. «L’OTAN n’apparaît dès lors plus comme un simple instrument ou un acteur à part entière. Elle est un contexte d’action, un espace pluriel, d’acteurs, de pratiques, de discours et de politiques de sécurité.»
«Ce déplacement du regard montre que la raison d’être de l’OTAN relève beaucoup moins d’un décisionnisme politique d’État que de la rationalisation collective et professionnelle de pratiques de sécurité multiples.»
Bricolages et approximations
Pour Julien Pomarède, la gestion de risques à l’OTAN n’a rien d’une mécanique bien huilée. Elle se construit dans des ateliers où les logiques de montage sont élaborées coup par coup. Les changements que l’OTAN a entamés ces 20 dernières années, au nom du gouvernement par le risque, se logent dans des bricolages et des approximations.
En réponse à l’appel du président Donald Trump pour approfondir la lutte contre le terrorisme, l’OTAN a lancé de nouvelles initiatives. Dont un Plan d’action géré par une coordinatrice étatsunienne du contre-terrorisme. Avec entraînement des forces alliées et partenaires. Relations avec l’Organisation des Nations unies (ONU) et l’Union africaine (UA). Pratiques en milieu opérationnel.
Le Plan d’action implique à peu près toutes les divisions de l’Alliance. Le chercheur relève que la section contre-terrorisme a quasiment doublé de volume. Elle accueille notamment un ancien de la division des investissements de la lutte contre les engins explosifs improvisés. Et un ex-responsable de la partie NRBC (armes nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques) du programme pour la science au service de la paix et de la sécurité. Une cellule de renseignement pour lutter contre le terrorisme s’est ajoutée au Plan d’action. L’Alliance participe à la coalition anti-État islamique avec des Boeing E-3A. Les capteurs et le radar de leur système Awacs permettent de surveiller, gérer l’espace des opérations à grande distance.