C’est en plein cœur du site naturel du Wachnet (à Waremme, en province de Liège), que se dresse désormais le plus grand conservatoire d’Europe exclusivement dédié aux insectes. Un patrimoine de quelque 6 millions d’insectes collectés dans le monde entier et dont les spécimens les plus anciens datent de 1817, année des premières collections entomologiques de l’Université de Liège.
Son ouverture coïncide avec celle du tout nouveau musée Hexapoda qui lui est attenant. Ce dernier vulgarise, sur 650 m², le monde des insectes à l’aide de 170 panneaux didactiques et d’une soixantaine d’espèces vivantes (phasmes, blattes, cétoines, mantes, criquets, etc.).
Le Conservatoire est le fruit de la volonté de Pr Frédéric Francis, entomologiste spécialiste des syrphes et doyen de la faculté d’agronomie de Glembloux Agro-Bio-Tech (ULiège). Il regroupe, outre les collections gembloutoises, qui se rassemblent sur la moitié des rayonnages du Conservatoire, celles de l’UMons, des hautes écoles agronomiques des provinces de Liège et du Hainaut, de l’Aquarium-Museum de Liège, de l’Africa Museum, du Field Museum of Natural History de Chicago ainsi que plus d’une trentaine de riches collections privées.
Assainir par congélation
Le Conservatoire, dédié exclusivement aux insectes (une exclusivité que ne rencontrent pas les riches Conservatoires de Paris et de Londres), compte environ 6 millions de spécimens. Piqués en leur centre par une aiguille, ils sont logés dans des boîtes de 40 cm sur 30 cm, et de 3 à 8 cm d’épaisseur. Certaines accueillent jusqu’à plusieurs dizaines d’insectes, à condition qu’ils soient de petite taille. Ils sont accompagnés de leur carte d’identité reprenant les noms calligraphiés de leur espèce et de celui du collecteur, ainsi que le lieu et la date auxquels ils ont été prélevés.
Afin d’espérer les voir passer encore de longues années dans les rayonnages du Conservatoire, les 10.000 boîtes sont désinfectées par le froid chaque année. « Elles restent dans le congélateur mitoyen au Conservatoire (d’une capacité de 1000 boîtes) durant une semaine à -20°C. Si d‘aventure des coléoptères, appelés anthrènes, se repaissant des insectes morts de la collection s’étaient insinués dans les boîtes, cette action a le don de les tuer et de mettre fin à leur processus de destruction », explique Dre Lara De Backer, directrice de l’ASBL Hexapoda.
«Au sortir du congélateur, les boîtes ne sont pas directement rangées dans les rayonnages, mais séjournent durant 4 ou 5 jours dans une salle chauffée à 4°C. Et ce, afin d’éviter toute condensation dans ces boîtes en bois au couvercle de verre, laquelle nuirait aux collections. »
Le coup de froid ou l’inhalation toxique
Au fil des rayonnages, des papillons aux couleurs vives ou irisées, des coléoptères dotés d’antennes gigantesques, s’offrent au regard dans les boîtes. Comment tue-t-on les animaux afin qu’ils puissent être ainsi conservés ? « Il y a plusieurs possibilités. Celle qu’on l’on conseille aux étudiants, c’est le congélateur. A -18 °C, pour la majorité des insectes, la mort est quasi instantanée. De plus, l’insecte, au sortir du congélateur, reste humide. Une fois décongelé, il reste flexible afin de pouvoir l’étaler », explique Pr Frédéric Francis.
« On peut également utiliser certains produits, comme l’acétate d’éthyle pour tuer l’insecte. Mais, s’il reste à température ambiante ou dans un pot, il va se dessécher. Dès lors, si l’on veut l’étaler quelques semaines plus tard, il va se briser lors de la manipulation. La solution consiste alors à le réhydrater au préalable en le mettant, dans une boîte hermétique, avec du sable très humide. »
Le leurre adaptable
Sur le terrain, les entomologistes peuvent aussi utiliser des pièges. Il en existe de différents types. « Parmi les plus courants, citons les pièges jaunes contenant de l’eau et du détergent. L’insecte est attiré par la couleur jaune, se noie et coule sous l’effet du détergent. On récupère l’insecte et on le place dans de l’alcool pour le conserver. »
« Afin de prélever les insectes de façon spécifique, et donc de limiter la capture d’insectes non désirés, on adapte les pièges en fonction de l’espèce à piéger. Il y a quelques années, nous avons dû collecter des moucherons qui transmettaient la maladie de la langue bleue. Ceux-ci font 2-3 mm de long et ont des mœurs nocturnes. Dès lors, on a utilisé un système de piège avec lampe UV protégé par un maillage aux mailles de très petite taille ne laissant passer que les moucherons d’intérêt », précise Pr Francis. Il existe encore d’autres pièges spécifiques, en termes d’odeurs, de phéromones ou de régime alimentaire.
Holotypes et numérisation
Pour mettre un nom sur un insecte et déterminer si l’espèce est en danger ou s’il s’agit d’une espèce invasive, il est nécessaire de partir du matériel entomologique de référence. Le Conservatoire possède pas moins de 1500 insectes dits holotypes, c’est-à-dire des individus à partir desquels une espèce a été décrite pour la première fois et qui servent désormais de référence. Parmi ceux-ci, de nombreux hyménoptères (abeilles, guêpes, fourmis) et diptères (mouches).
« Dans certains endroits, par exemple en Afrique, en l’absence de ce matériel biologique de référence, les entomologistes locaux ne parviennent pas à identifier les insectes. C’est pourquoi nous voulons que nos collections soient accessibles », précise le Pr Francis.
« Pour ce faire, avec l’Université de Liège, nous travaillons sur la numérisation des 10.000 boîtes que compte notre collection. Pas moins de 400 photos sont prises de chaque boîte, puis sont assemblées, afin de reproduire une image en 3 dimensions. Lorsqu’elles seront accessibles librement sur Internet, un entomologiste de l’autre bout du monde pourra y avoir accès et agrandir l’image à l’envi », conclut Pr Francis.