Dans le cadre du premier biomonitoring wallon, une large part des analyses de sang et d'urine a été réalisée au sein du Laboratoire de Toxicologie du CHU Liège © BMH-Wal

Pesticides, plomb et autres substances toxiques passés au crible dans le sang et l’urine des Wallons

5 octobre 2021
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 6 min

Le tout premier biomonitoring wallon livre ses résultats. Pour la première phase de ce projet de grande ampleur, les nouveau-nés, les adolescents de 12 à 19 ans et les jeunes adultes de 20 à 39 ans ont été ciblés. Leurs analyses de sang et d’urine révèlent une présence de plomb, de pesticides et de polluants organiques persistants. Et ce, même 40 années après l’interdiction de certaines substances toxiques. De quoi calculer les premières valeurs de référence, lesquelles permettront de surveiller l’exposition des Wallons à ces molécules.

Large panel de substances toxiques

Ce sont pas moins de 56 substances toxiques qui ont été recherchées dans le sang et l’urine de Wallons: 8 métaux, 5 bisphénols, 10 hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAPs), 4 PCBs (polychlorobiphényles), 6 métabolites de pesticides organophosphorés, 5 métabolites de pesticides pyréthrinoïdes, le glyphosate et son métabolite l’AMPA (acide aminométhylphosphonique ) et 16 pesticides organochlorés.

Face à ce grand nombre de molécules recherchées, le budget n’étant pas extensible, l’étude ne comporte que de petites cohortes, néanmoins représentatives de la distribution géographique wallonne: entre le 15 novembre 2019 et le 31 juillet 2020, 261 adultes de 20 à 39 ans, 283 adolescents de 12 à 19 ans et 284 nouveau-nés ont fourni un échantillon d’urine et/ou de sang. Parmi ceux-ci, on compte environ 50 % d’hommes et 50 % de femmes.

Descriptif des 828 Wallons qui ont participé au biomonitoring  © ISSeP – capture d’écran du rapport de synthèse – Cliquez pour agrandir

De précieuses valeurs de référence

Cette campagne de biosurveillance a été coordonnée par l’Institut Scientifique de Service Public (ISSeP), en partenariat avec les laboratoires de Toxicologie clinique, médico-légale, de l’environnement et en entreprise du CHU de Liège, du Louvain Centre for Toxicology and Applied Pharmacology (LTAP), des Cliniques universitaires Saint-Luc et de Sciensano.

Ce premier biomonitoring humain wallon s’inscrit dans un projet plus large, dénommé HBM4EU (2017-2021) et mené sous la houlette de l’Agence européenne pour l’environnement et de la Commission européenne. L’un de ses objectifs est d’harmoniser les procédures de biomonitoring humain dans les 30 pays participants. Et ce, « afin de fournir aux décideurs politiques des données comparables quant à l’exposition humaine aux produits chimiques en Europe et d’orienter les politiques communautaires. »

L’objectif principal du projet BMH-Wal est dès lors la détermination de valeurs de référence pour les substances toxiques recherchées dans le sang et l’urine des participants. Elles sont nécessaires pour pouvoir, par la suite, interpréter les données acquises lors de campagnes de biomonitoring. En effet, sans elles, impossible d’identifier des individus surexposés par rapport à la population wallonne globale.

« Ces valeurs de référence renseignent sur le niveau d’imprégnation d’une population particulière à une substance chimique à un moment donné. Elle fixe une limite arbitraire entre le « bruit de fond » d’exposition à la substance d’intérêt dans la population d’étude et la partie supérieure des niveaux d’exposition. Elle reflète donc une concentration biologique seuil au-delà de laquelle le niveau d’exposition de la population est estimé élevé, mais elle ne donne aucune information sur l’existence ou la possibilité de survenue d’un quelconque effet sanitaire associé à ce niveau d’exposition », expliquent les scientifiques.

Valeur de référence ne rime pas avec innocuité

Pour clarifier ce point, prenons l’exemple du plomb. Présent dans le tabac, les anciennes peintures et canalisations, ce métal a été retrouvé chez les 828 Wallons testés. Une valeur de référence a été calculée pour les trois tranches d’âge étudiées.

Or, il n’existe aucune valeur seuil au-dessous de laquelle l’exposition au plomb n’aurait pas d’effets nocifs pour la santé. Autrement dit, toutes les personnes de l’échantillon ayant été exposées au plomb – et l’on peut considérer, par extension, que c’est le cas de tous les Wallons – encourent un risque sanitaire.

Mais celui-ci augmente avec la concentration de plomb mesurée dans le sang. Si bien que, dans le cadre de cette étude, les toxicologues considèrent qu’une concentration sanguine supérieure à 25µg/L pour les adultes et les adolescents ; et de 12µg/L chez les nouveau-nés doit susciter la vigilance. Parmi le panel testé, c’est le cas pour 2.5% des adolescents, 9.7% des adultes et 12.4% des nouveau-nés (risque de déficit intellectuel chez l’enfant).

Des valeurs de référence à gogo

Globalement, concernant les adolescents et les jeunes adultes, des valeurs wallonnes de référence ont été établies pour l’ensemble des substances analysées excepté, lit-on dans le rapport de synthèse, « pour un bisphénol (BPP) et un métabolite de pesticide organophosphoré (DEDTP) dans l’urine ; pour 2 PCBs (PCB-118 et PCB-138) et 14 pesticides organochlorés dans le sang. Et ce, en raison de taux de détection trop faibles. »

Autrement dit, la Wallonie dispose désormais de données révélant une tendance de l’ampleur de la contamination par 38 des 56 substances toxiques recherchées parmi les 12-19 ans et les 20-39 ans vivant depuis minimum 5 ans sur son territoire. Parmi celles-ci, des insecticides pyréthrinoïdes et organophosphorés (au moins un de leurs métabolites a été détecté chez plus de 90 % des participants), l’herbicide glyphosate (présent chez une personne sur 4) et des pesticides interdits depuis 40 ans (retrouvés dans un échantillon sur 5).

A peine nés, déjà intoxiqués

Chez de très nombreux nouveau-nés, du plomb et du mercure ont été mesurés dans le sang de leur cordon ombilical. De quoi établir deux valeurs de référence.

Par contre, le cadmium, les pesticides organochlorés et les PCBs ayant été détectés dans très peu d’échantillons de sang de cordon, aucune valeur de référence n’a pu être établie pour ces substances.

Les échantillons d’urine étant très difficiles à collecter chez les nouveau-nés, les biomarqueurs urinaires n’ont pas été recherchés.

Molécules recherchées spécifiquement dans les échantillons de sang ou d’urine © ISSeP – capture d’écran du rapport de synthèse – Cliquez pour agrandir

Une exposition semblable à celle d’autres pays

Face à ces résultats, doit-on être effrayé ou rassuré ? « Globalement, les résultats obtenus pour les marqueurs mesurés dans le cadre de cette phase 1 du premier programme de Biomonitoring Humain Wallon sont pour la plupart proches de ceux rapportés dans d’autres études nationales ou internationales; voire inférieurs pour les substances qui ont subi, ces dernières années, des restrictions au niveau belge et/ou européen », souligne Suzanne Remy, responsable de la Cellule Environnement-Santé au sein de l’ISSeP.

La phase 2 de BMH-WAL, ciblé sur d’autres classes d’âge, est déjà sur les rails. Les résultats concernant les deux cohortes d’environ 300 enfants de 3 à 5 ans et de 6 à 11 ans devraient être connus d’ici juin 2022. Un panel d’adultes âgés entre 40 et 59 ans devrait être créé prochainement.

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