« C’est un problème en lien avec l’immunité que nous venons d’élucider. Pendant des années, nos recherches ne nous permettaient pas de comprendre les propriétés du domaine Zalpha d’une protéine virale que l’on étudiait. Finalement, le déclic est intervenu pendant un séjour à Barcelone, lors de la visite d’une maison de Gaudí! »
Le Pr Alain Vanderplasschen, directeur du laboratoire d’immunologie et de vaccinologie de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Liège, s’en souvient comme si c’était hier. Et pour cause, cette visite lui a permis de voir clair dans un problème de biochimie complexe. Une découverte qui a débouché sur une belle publication scientifique. Il y expose comment un virus de la carpe permet de mettre en évidence diverses fonctionnalités importantes des domaines protéiques Zalpha, un domaine que l’on retrouve dans plusieurs protéines importantes du système immunitaire.
Modification des propriétés
« A Barcelone, ce sont les balcons de Gaudí qui m’ont interpelé», explique le scientifique, qui a pu mener cette découverte à bien grâce au Welbio, l’Institut wallon de recherche stratégique d’excellence en sciences de la vie, la Région wallonne, le FNRS et un projet européen ICRAD.
« Les barreaux situés sur la partie gauche des balcons sont torsadés vers la gauche, alors que ceux du côté droit tournent vers la droite. C’est alors que je me suis demandé pourquoi les protéines que nous étudions, et qui reconnaissent les acides nucléiques en pas droit, ne pourraient pas transformer ceux-ci en pas gauche, tout en reconnaissant ceux adoptant cette conformation rare. On sait historiquement que l’ADN et l’ARN double brin se présentent sous la forme d’une double hélice qui tourne vers la droite. Par la suite, des scientifiques ont découvert que certains acides nucléiques pouvaient également se présenter en pas gauche.»
« L’existence de ces structures « en pas gauche » fut pendant longtemps considérée comme un artefact résultant des conditions d’observation », indique le Pr Vanderplasschen. « Une configuration qui n’apparaissait que dans des cas très spécifiques, dans des environnements très salés, par exemple. Mais ce consensus évolua suite à la découverte d’un domaine protéique appelé Zalpha (Zα). Ce domaine Zalpha permet aux protéines qui le possèdent de reconnaître de l’ADN ou de l’ARN double brin en pas gauche, appelées respectivement Z-ADN et Z-ARN. »
Le virus de la carpe sur lequel le chercheur et son équipe travaillent depuis des années code précisément pour un domaine protéique Zalpha.
Implications dans différentes pathologies
L’équipe liégeoise a pu démontrer que si tous les domaines Zα sont capables de reconnaître du Z-ADN et Z-ARN, seuls certains Zα étaient capables d’assurer la multiplication du virus.
Ce domaine Zα se retrouve dans des protéines importantes du système immunitaire des animaux, mais également de l’homme. « Ces protéines sont impliquées dans des processus pathologiques importants et divers tels que des cancers, des maladies génétiques et des maladies auto-immunes », précise le chercheur.
« Par exemple, dans le cas du syndrome d’Aicardi-Goutières. Il s’agit d’une maladie qui frappe certains enfants et qui s’attaque à leur cerveau. Elle résulte d’un problème génétique, d’une mutation dans un domaine Zalpha. On pensait que cette maladie était due à un défaut génétique d’une protéine, ce qui la rendait agressive et provoquait une dégénérescence progressive du cerveau. Aujourd’hui, on sait que c’est l’inverse. Cette protéine sert à calmer le système immunitaire de la cellule et à l’empêcher de réagir contre certaines molécules de la cellule. Quand la protéine est rendue déficiente par les mutations associées à la maladie d’Aicardi-Goutières, elle n’est plus capable de calmer le système immunitaire de la cellule et celle-ci s’autodétruit », précisait-il tout récemment dans le mook « Le Quinzième Jour », de l’Université de Liège.
« Comprendre comment fonctionnent les domaines Zalpha est donc essentiel pour pouvoir développer des inhibiteurs de ces domaines au niveau pharmacologique. À long terme, en comprenant leur fonction, on peut envisager le développement de molécules actives contre eux, et donc des traitements.»
« En étudiant les fonctions du domaine Zα du virus de la carpe, ce sont donc de nouveaux pans de recherche qui s’ouvrent dans le fonctionnement du système immunitaire et de pathologies associées, et notamment en médecine humaine », conclut-il.