La langue poilue de l’abeille lui servirait à capturer le nectar

6 mars 2019
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes

Comment les animaux boivent-ils ? A cette question, point de réponse générale. Il faut s’interroger espèce par espèce. Si les chats et chiens lapent, qu’en est-il des abeilles ? Une équipe de l’Université de Mons, dirigée par le Pr Pascal Damman s’est intéressée à cette question. A l’aide d’une caméra filmant des animaux vivants puis d’un fac-similé, elle a décortiqué les mouvements de l’insecte s’alimentant de nectar. Résultat ? Son alimentation serait intimement liée à sa pilosité linguale. Car oui, nos chères abeilles ont la langue poilue.

Le chat, l’inertie et la gravité

Tout d’abord, petit détour chez les grands animaux, dont nous faisons partie. Dans leur monde, une règle de base: si l’on n’est pas joufflu, on doit laper pour s’abreuver. C’est le cas des carnivores, à la gueule fendue pour attraper les proies, particulièrement des chats. Des physiciens américains se sont emparés du phénomène pour en comprendre le déroulement. D’après leur étude publiée dans Science, si le félin lape, c’est parce qu’il a réussi à trouver l’équilibre entre gravité et inertie. Pour étancher sa soif, le matou étire tout d’abord la langue et la courbe à son extrémité. Afin de vaincre l’inertie du liquide convoité et donc le mettre en mouvement, il le frappe rapidement en surface  à l’aide de cette cuillère linguale. L’eau s’élève alors en une colonne d’eau sur le bout de sa langue. Pour éviter que la gravité ne la fasse tomber, le chat referme alors rapidement sa bouche pour l’ingurgiter.  Il effectue 4  lapements par seconde. Et à chacun d’eux, il ingère en moyenne 0,14 ml.

Le monde des insectes est singulier

Le monde des insectes est tout autre. De par leur petite taille, leur univers n’a rien à voir avec celui des grands animaux. Par exemple, pour un moucheron, la surface de l’eau est comme du béton : impossible de passer à travers. Dès lors, afin de capturer un fluide, les insectes ont dû développer un processus original. En effet, pour eux, le frein qui va empêcher au liquide de se mettre en mouvement ne sera plus l’inertie, comme dans l’exemple du chat, mais la viscosité du fluide. A leur taille, la gravité ne jouant pas, ce sont plutôt des phénomènes capillaires qui interviennent. Cette théorie est-elle applicable à tous les insectes? Une équipe du Laboratoire Interfaces et Fluides Complexes (UMons), dirigée par Pascal Damman, s’est penchée sur un espèce particulière, un bourdon dénommé Bombus terrestris (L.).

On a tous pu observer des papillons déployer leur trompe pour pomper du liquide. Mais au fur et à mesure que le fluide devient plus visqueux, le pompage se fait plus ardu. Essayez de tirer du miel à l’aide d’une seringue … c’est très difficile. Certains insectes utilisent dès lors une autre technique : plonger la langue dans le liquide visqueux et la retirer très vite. C’est le cas de l’abeille.

Chez l’abeille, la viscosité du nectar n’a rien à voir

Au laboratoire de l’UMons, des bourdons a été placés dans des petits tubes individuels débouchant sur un tube capillaire rempli de nectar artificiel à la teneur en sucre croissante et donc à la viscosité grandissante. Les chercheurs ont ensuite visionné au ralenti le film de leur dégustation pour en identifier les étapes. En effet, une abeille effectue presque 10 lapements par seconde. A l’oeil nu, on ne voit rien. Etonnamment, les chercheurs ont observé que la vitesse de lapement ne variait pas. Autrement dit, contre l’idée admise jusqu’alors dans la communauté scientifique, elle ne dépendrait donc pas de la viscosité du liquide. De même, quand la viscosité du nectar augmente, la quantité capturée par les abeilles par seconde ne change pas.

Pourquoi la langue des abeilles est-elle poilue ?

Pour comprendre ce phénomène en détail, une approche bioinspirée a été employée : les chercheurs ont créé un dispositif artificiel imitant la langue de l’abeille. Le mécanisme d’entraînement du fluide fut d’abord étudié avec des tiges lisses, puis avec des tiges recouvertes d’une structure rugueuse imitant la pilosité linguale de l’insecte. « On s’est rendu compte qu’il y avait deux régimes. Dans le premier (tiges lisses, NDLR), c’est l’entraînement visqueux, donc le fait de tirer vite, qui va jouer,explique Pascal Damman. Dans le second (tiges rugueuses, NDLR), le fluide est juste piégé dans la structure. » Autrement dit, ce que le fac-similé de langue d’abeille capture, c’est ce qui est contenu dans les rugosités de sa structure.

« Jusqu’à présent, les scientifiques considéraient que tout se faisait par la vitesse. Or, on a observé que l’abeille, en réalité, piège le fluide dans les petits poils qui tapissent sa langue. Et que la vitesse n’a aucune importance », poursuit le physicien. Par cette recherche, aux résultats non encore publiés, les chercheurs font d’une pierre deux coups. En plus de modifier la compréhension du mécanisme de capture de liquide par les abeilles, ils apportent une explication à la présence de poils sur la langue des abeilles.

Et chez les autres nectarivores ?

La découverte pourrait également concerner une espèce de petite chauve-souris nectarivore. En effet, « avec sa langue poilue, elle pourrait se nourrir via le même mécanisme que l’abeille. »

Quid des colibris ? Ces minuscules oiseaux si gourmands de nectar ? « C’est complètement autre chose. On est en train d’étudier cela. Le projet vient de commencer, une étudiante est allée aux Etats-Unis filmer des colibris. Leur langue est particulière car elle se termine par deux fines feuilles», explique Pr Damman avant de lever un coin du voile entourant la technique des colibris pour capturer le fluide :

 

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